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NOUVELLES DU FRONT

(Avril 1996 - numéro 9)

 

Attention école!

L'extrême gravité de la situation dans les établissements scolaires de ce beau pays qui fut celui de Robert Doisneau avait été révélée, dès octobre dernier, par un rapport du Syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale (p.6): «Blondes ou brunes, nos chères têtes disposent d'arsenaux impressionnants où couteaux, cutters voire armes à feu ont remplacé frondes et sarbacanes […]. En 1994, 41 faits étaient commis par armes blanches, 23 par armes à feu, à grenaille ou d'alarme. Le 4 avril, aux Lilas, en Seine-Saint-Denis, 1 adolescente d'origine haïtienne […] était trouvée en possession d'une machette. […] 1994 a apporté le traumatisme de Vandœuvre où 1 collégienne de 14 ans a étranglé 1 condisciple de 13 ans»…

Message reçu 5 sur 5 par l'opinion publique: «63 % des Français sont favorables à la présence des forces de police dans les établissements scolaires» (sondage Ipsos publié dans Le Figaro du 15 février). Histoire de mettre l'ambiance, on aurait dû aussi les interroger sur le fait de savoir si, en dernier recours, on ne devrait pas faire appel à la Force d'action rapide (FAR), particulièrement bien entraînée pour ce type d'intervention.1

Allô 49 55 10 10… Un poste de secours est lancé en catastrophe jeudi 1er février par François Bayrou. «100 appels vendredi dernier, 60 lundi, autant le troisième jour, un peu moins le suivant. 1 seul appel a fait état de violence» (La Vie du 15 février). Comme beaucoup de ses confrères, La Vie égrène la litanie: « Marseille. 1 adolescent de dix-sept ans blesse un enseignant de deux coups de couteau. Tombelaine. 1 jeune fille de seize ans attaque son prof à coup de pieds pendant un cours… Chaque jour la liste des violences s'allonge […]. La vie n'est pas rose tous les jours dans ce collège de près de 600 élèves et 40 profs. Il y a 3 ans, 1 enseignante a reçu un coup de pied. 1 autre s'est fait agresser au cutter. Entretemps, la sonnerie d'alarme a résonné 30 fois par jour».

 

Consultation éclair

Pourtant, le Premier Ministre a bien cherché à nous rassurer, jugeant utile de «ramener à leur juste proportion» les incidents intervenus dans les écoles en notant que 25 établissements du second degré sur 11'600 et… 2 écoles sur 62'000 étaient, ces dernières semaines «atteints par ce fléau» (Le Monde du 15 février). L'usage de ce dernier mot était peut-être alors maladroit!

Peine perdue. Mardi 20 février, branle-bas de combat. Le syndicat national des personnes de direction de l'Éducation nationale réunissait au lycée Jeanson-de-Sailly, sans doute le dernier réduit à peu près sûr, tous les chefs d'établissements travaillant dans les collèges et lycées difficiles d'Île-de-France (Le Monde du 21 février). La veille, il avait lancé une «consultation éclair» (ce qui signifie sans doute: collecte, traitement, exploitation effectués à la vitesse de la lumière) auprès des 6'500 établissements publics du second degré: 54% des établissements connaissent «des problèmes graves de violence»; 70% des chefs d'établissements estiment faire face à une aggravation de ces phénomènes.

Quel parent d'élève n'aurait pas été accablé devant une telle situation! Le coup de grâce nous fut donné par un groupe de scientifiques patentés révélant l'étendue du drame: «la France a perdu 1'500'000 jeunes depuis 1975, soit presque autant que la saignée de la guerre de 1914!». Mais notre mauvais esprit nous égare. Cette phrase d'anthologie est extraite de l'Appel pour sauver l'avenir, SOS Jeunesse lancé par l'association Population et Avenir concernant le déclin de la fécondité. On aura compris que ces enfants n'étant pas nés, ne sont pas morts. Blons ou bruns, ils auront échappé à l'enfer des cours de récréation. Par ailleurs, Pénombre mobilise ses enquêteurs pour savoir comment on peut recenser ce qui n'existe pas.

 

Victor Descombres

 

1 Le Monde du 19 mars nous apprend que «2'200 appelés du contingent supplémentaires seront affectés dans les établissements».