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(Juin 1997 - numéro 13)

 

À propos de la courbe logistique

Où l'on revient sur le texte de Roland Pfefferkorn «C'était hier», paru dans la Lettre blanche n° 12, dans lequel il était question d'un certain nombre de prévisions, élaborées dans le passé, concernant la proportion de bacheliers au sein d'une même classe d'âge.

Il faudrait attirer l'attention des lecteurs et commentateurs sur une confusion fréquente: bacheliers ou «niveau bac»? L'objectif de 80% a été posé pour les «niveaux bac», c'est-à-dire ceux qui font une terminale, qu'ils réussissent ou non l'examen.

On passe de l'un à l'autre en multipliant par le taux de succès, dont parle P. Tournier: bien sûr, ce taux de succès ne se confond pas non plus avec les deux premiers.

Sur le fond, il faudrait, pour suivre R. Pfefferkorn, être plus complet sur les conditions qui ont amené le ministre de l'époque (JP Chevènement) à afficher 80%: c'est surtout l'exemple japonais, opportunément corroboré par une projection des besoins de l'économie faite par le Bipe (Bureau de prévision économique) dont on s'est aperçu par la suite que le modèle avait négligé les promotions en cours de carrière.

Mais, je voudrais m'arrêter surtout à la citation «la prévision issue de la courbe logistique». On la trouve en effet souvent évoquée. J'ignore quels en sont les antécédents anglo-saxons et d'où vient cette appellation de «logistique». Un lecteur de Pénombre nous éclairera-t-il? En France, c'est dans les années 1920 que Demosay s'aperçut empiriquement que beaucoup de phénomènes naturels suivaient la même loi de croissance, représentée par une courbe «en S»: croissance d'une plante, développement d'un organe animal, croissance d'une population, réactions chimiques autocatalytiques, etc. Il formula sa loi, sans la nommer, mais en en donnant l'expression mathématique. Suit cette loi, un phénomène dont l'accroissement est simultanément:

  • proportionnel à l'expansion déjà atteinte, et
  • proportionnel à ce qui lui manque pour atteindre sa taille limite. La première condition se traduit par une croissance d'abord exponentielle, jusqu'à ce que l'approche de la limite freine la croissance. Ceci exprime ce que Félix Le Dantec avait appelé «le facteur limitant».

Or, pour utiliser cette loi en prévision, il faut s'assurer que les deux conditions énoncées sont remplies. Beaucoup de ceux qui repèrent une forme «en S» le postulent sans aucun examen et fourguent le calcul à leur ordinateur préféré. Lequel, bête et discipliné, fournit un résultat, pardi! La logistique a une forme en S; mais toutes les courbes en S ne sont pas des logistiques ! Gageons que les auteurs de la prédiction ici rapportée ne se sont pas interrogés là-dessus.

On peut encore imaginer que la propension à passer le bac se diffuse, comme une maladie contagieuse, comme une mode, à proportion de l'exemple que les bacheliers actuels donnent. Mais, quel est le «facteur limitant»? Certes, la proportion est bornée à 100%; mais, précisément, l'exercice consiste à savoir quelle serait la limite si elle n'est pas de 100%: il faut donc chercher ailleurs une raison limitante. Et, à supposer qu'on l'ait trouvée, il est probable qu'elle résiderait soit dans les conditions techniques de l'économie, soit dans la culture, l'image du diplôme, soit les deux à la fois. On aurait alors bien une évolution d'allure «logistique». Mais, avant qu'elle soit très avancée, les dites conditions techniques ou culturelles peuvent varier, ce qui relance la croissance sur une nouvelle logistique qui s'enchaîne à la première. On peut voir ainsi, en démographie, une population animale qui se stabilise compte tenu des ressources disponibles, puis qui, celles-ci se trouvant brusquement accrues, repart sur une nouvelle trajectoire. Conjecturons que la méprise des prévisionnistes ici cités s'explique ainsi.

 

René Padieu