Pénombre
Bienvenue sur www.penombre.org
Publications
Home page
Rechercher
Contact
Numéros
Thèmes
Auteurs

RISQUES CALCULES

(Mars 2000 - numéro 21)

 

Tout risque

Dans un souci de réflexion concrète, il est peut-être utile d'éclairer du jour statistique une décision que vous aurez à prendre si vous avez un enfant qui entre en 5e: le ferez-vous vacciner contre l'hépatite B, ou non?

La vaccination contre l'hépatite B n'est pas obligatoire, et c'est vous (les parents) qui décidez pour votre enfant, à la lumière de l'obscure clarté qui tombe des lettres et des nombres…

 

Ça commence avec des lettres

Les médecins numérotent les hépatites avec des lettres: A, B, C (ex. non A non B), D, et la suite… C'est de la B qu'il s'agit ici. C'est une maladie virale transmissible notamment par voie sanguine, sexuelle, et par la salive. Y sont donc particulièrement exposés certaines professions (les professions de santé entre autres) et les jeunes ayant des "conduites à risques".

Beaucoup de porteurs du virus, heureusement, ne connaîtront jamais aucun problème particulier, mais une petite partie des hépatites B évolue très mal: une partie des hépatites asymptomatiques deviennent symptomatiques; parmi celles-ci, certaines deviennent chroniques; une partie des hépatites chroniques produisent une cirrhose qui peut donner naissance à un cancer du foie… L'ensemble de l'évolution se déroule en général sur une longue période (parfois plusieurs dizaines d'années).

Dans certains pays d'Afrique ou d'Asie du sud-est, la maladie est très répandue et constitue un véritable fléau de santé publique. C'est ce qui a amené l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à s'en préoccuper sérieusement. Car depuis 1981, on dispose de vaccins parfaitement efficaces. Au début, on n'a vacciné que les populations "à risques", mais en 1991, l'OMS, constatant que cette stratégie ne suffisait pas à faire reculer globalement la maladie, a recommandé aux autorités nationales de pratiquer la vaccination systématique des jeunes, pour parvenir à éradiquer définitivement à long terme la maladie.

La France a suivi cette stratégie dès 1994, et des campagnes massives de vaccination ont été lancées en direction des nourrissons et des pré-adolescents (en sus des populations à risque), de sorte qu'en 1999, environ 40% des Français étaient vaccinés.

 

Ça continue par des points d'interrogation

Tous les vaccins ont des "effets indésirables" plus ou moins gênants: rougeurs, douleurs localisées, parfois fièvre ou maux de tête… Ils sont en général bénins et ne remettent pas en cause les bienfaits de la vaccination. Mais bien entendu, les autorités sanitaires surveillent attentivement ces effets pour s'assurer que n'apparaissent pas des conséquences plus graves. Le système est bien organisé: tout médecin qui constate des effets indésirables graves après la prise d'un vaccin (ou d'un autre médicament) est tenu de le signaler au centre de pharmacovigilance le plus proche. Ces centres analysent l'événement, et les résultats de ces travaux sont synthétisés au niveau national par l'AFSSAPS (ex-Agence du médicament). Celle-ci, au vu des données disponibles, tente d'établir s'il y a un lien de causalité avéré entre le médicament et les phénomènes indésirables constatés.

Dans le cas du vaccin anti-hépatite B, des cas de maladies graves (notamment de scléroses en plaques et autres atteintes dites démyélinisantes) survenant après des vaccinations anti-hépatite B ont été signalées dès les débuts de la vaccination de masse. Y avait-il une relation de cause à effet entre ces affections et la vaccination? En octobre 1998, le tribunal de Nanterre répondait oui. Sans solliciter d'expertise médicale particulière, mais constatant que Mlle X avait développé une sclérose en plaques quelques jours seulement après sa vaccination contre l'hépatite B, a estimé que la relation de cause à effet était avérée et a condamné le fabricant du vaccin à verser des dommages et intérêts à la victime.

 

Question n° 1: à ce stade d'information, faites-vous vacciner votre enfant?

Un grand nombre de bons lecteurs de Pénombre, exigent déjà d'en savoir plus, et surtout d'avoir des chiffres, des statistiques, des éléments de preuve ou du moins de conviction un peu solide… Remarquons tout de même que vous êtes plus gourmands sur ce plan que bien des journalistes qui sur la foi d'un certain nombre de témoignages évoquant une chronologie troublante entre la vaccination et l'apparition de sclérose en plaques titraient à la une "le vaccin qui tue"! Rendons-nous compte surtout que du point de vue de la victime plongée subitement dans le drame d'une maladie grave alors que tout allait bien jusqu'au jour de la vaccination, les prudences statistiques des spécialistes (qu'on peut d'ailleurs soupçonner d'être plus ou moins influencés par les fabricants de vaccins) paraissent déplacées… Une association (le REVAHB) s'est d'ailleurs constituée pour regrouper ces victimes, les soutenir, défendre leurs intérêts matériels et moraux, et apporter les éléments de preuve dans les procès en responsabilité qu'elles engageaient. Le REVAHB a ainsi accumulé un nombre important de dossiers de cas tendant à montrer la causalité entre le vaccin et les atteintes neurologiques graves.

 

A leur tour, les nombres sont convoqués

Evidemment, sur 25 millions de vaccinés, on imagine bien que le simple hasard fasse que des personnes déclarent une sclérose en plaques dans les semaines qui suivent leur vaccination. Dans les années 1993 à 1998, le nombre de cas déclarés restait même nettement inférieur à ce qui peut s'expliquer par la simple coïncidence. Pouvait-on conclure pour autant à l'absence de causalité? Hélas non, car malgré l'obligation légale de déclaration, on n'avait aucune garantie d'exhaustivité des cas déclarés. On a même la certitude qu'une partie importante des cas ne fait l'objet d'aucune déclaration. Et ce dont on est sûr aussi, c'est qu'on n'en connaît pas la proportion. Limites de la statistique sur des données à trous!…

L'inquiétude grandissant au cours des années 1997-1998, l'Agence du médicament décida de lancer 4 études différentes de grande ampleur, avec 4 méthodes différentes, pour en avoir enfin le cœur net. En septembre 1998 les résultats des 4 études tombaient en même temps, et les meilleurs spécialistes du monde entier étaient enfermés une journée entière dans une salle pour en critiquer les résultats et en tirer les conclusions. En toute transparence, le ministère publiait quelques jours après les résultats. Les voici.

 

Première étude: cas témoins à la Pitié-Salpetrière

La première et la seconde études, dites cas témoins, ont consisté à analyser le passé d'un échantillon de victimes de sclérose en plaques pour voir si le taux de vaccination contre l'hépatite B était différent de la moyenne observée dans un échantillon témoin.

La première étude (Pr. Lyon-Caen à la Salpetrière 1997) a montré un rapport de fréquence (dit odds ratio) de 1,7. Autrement dit, toutes choses égales par ailleurs, les victimes de scléroses en plaques présentaient un taux de vaccination 70% supérieur à la moyenne française. Tenions-nous une preuve? Pas tout à fait, car ce ratio de 1,7 était entaché d'une grande marge d'incertitude. "L'intervalle de confiance à 95%", c'est-à-dire la plage où le ratio réel a 95% de chances de se trouver est en l'occurrence la plage [0,8; 3,7]. Autrement dit, si on veut avoir moins d'une chance sur 20 de se tromper, on doit se limiter à affirmer que l'odds ratio est compris entre 0,8 (les vaccinés seraient 20% moins nombreux parmi les sclérosés en plaque) et 3,7 (les vaccinés y seraient dans ce cas près de 4 fois plus nombreux). En termes statistiques, le résultat est dit "non significatif au seuil de 5%", puisque l'intervalle de confiance englobe 1. C'était néanmoins une puce à l'oreille, et une deuxième étude, plus puissante, fut lancée.

 

Deuxième étude: cas témoins dans les services de neurologie des CHU

Cette deuxième étude cas témoins (A. Alpérovitch, B. Bégaud) porta sur un échantillon plus important, aussi important qu'on le pouvait, puisqu'il mettait à contribution 18 services de neurologie de CHU rassemblant 242 cas d'atteintes démyélinisantes, comparés à 407 témoins appariés. Ses résultats:

- si l'on s'en tient aux patients dont la vaccination est prouvée par un carnet de vaccination à jour, l'odds ratio était de 1,4, avec un intervalle de confiance à 95 % entre 0,4 et 4,5;
- si l'on prend en compte tous les patients, on trouvait 1,8 (I.C. 95% : [0,7; 4,6]).

Toujours pas conclusif à moins de 1/20e de risque d'erreur, mais une nouvelle puce à l'oreille. La 3e étude permettrait-elle de trancher?

 

Troisième étude: cas témoins sur la base de données des médecins généralistes anglais

La troisième étude (L. Abenhaïm, M. Sturkenboom) a pu porter sur un très grand nombre de sujets (4 millions de personnes, 520 cas de scléroses en plaques, 2505 témoins), grâce à la base de données permanente que tiennent les médecins généralistes anglais. Sans détailler les conditions techniques de cette étude particulièrement lourde, allons tout de suite aux résultats. La survenue de la S.E.P. dans les deux mois après la vaccination présente:
- un odds ratio de 1,4,
- avec un intervalle de confiance à 95% entre 0,8 et 2,4.

Une quatrième indication, mais toujours pas conclusive!

Peut-être la 4e étude (et dernière, car les échantillons étudiables et les méthodes d'étude ne sont pas en nombre infini) permettra-t-elle de conclure?

 

Quatrième étude: étude capture recapture

On a vu que les signalements au réseau de pharmaco-vigilance n'étaient pas exhaustifs, mais qu'on n'avait aucune mesure de la "perte en ligne". Perd-on 20%, 50%, 70% des signalements? Comment le savoir?

Or il se trouve que l'association REVAHB a elle aussi depuis plusieurs années collecté un grand nombre de signalements de cas suspects. Ainsi, certains cas sont signalés au réseau de pharmacovigilance, d'autres au REVAHB, d'autres aux deux, d'autres à personne. Une méthode tirée de… la pêche en étang (!) permet dans ce cas d'estimer les proportions des signalements de part et d'autre. Si vous voulez savoir combien de poissons vivent dans un étang, sans assécher l'étang pour les compter un par un, vous pouvez pêcher 100 poissons au hasard. Vous les baguez et vous les rejetez à l'eau, où ils vont se mélanger avec leurs congénères. Peu après, vous refaites une pêche de 100 poissons. Si dans vos prises vous trouvez par exemple 12 poissons bagués, vous serez tentés de conclure que 100 poissons constituent environ 12% de la population de l'étang, et que celui-ci contient environ 100 x 100/12 = 833 poissons. Bien entendu, pour que le résultat soit valide, il faut que dans chaque pêche, chaque poisson ait le même risque d'être pêché: si certains poissons mordent tout le temps et d'autres jamais, ou si le fait d'avoir été pris une fois dissuade le poisson de mordre une autre fois, le raisonnement s'écroule. En termes statistiques, il faut que les deux événements soient indépendants.

Si on fait l'hypothèse que le fait d'être déclaré dans un des deux circuits n'a pas d'influence sur la probabilité d'être déclaré à l'autre (hypothèse dont il est évidemment difficile de prouver la validité, mais qui ne paraît pas absurde a priori), on va pouvoir, en mesurant le taux de cas signalés aux deux dans chacun des deux recensements, se faire une idée de leur taux d'exhaustivité, et surtout du nombre de cas total.

C'est ce qui a été fait. On a trouvé 236 observations notifiées au réseau de pharmacovigilance, 71 cas au REVAHB seul, et 16 cas aux deux. Des travaux complémentaires seront nécessaires pour étudier et valider les 71 cas de l'association REVAHB. En attendant, les calculs donnent un nombre de cas compris entre 361 et 1'834 (toujours avec un intervalle de confiance de 95%). Si l'on compare ces chiffres au nombre de cas attendus dans la population compte tenu du nombre de vaccinés en France, sous diverses hypothèses qu'on ne détaillera pas ici (A. Fournier), de nouveau on ne peut pas conclure…

Voilà pour le risque, et il est peu probable que des études ultérieures puissent aller beaucoup plus loin.

 

Le risque d'hépatite B

Le risque d'hépatite B, contre lequel le vaccin prémunit, peut-on au moins le chiffrer, lui?

C'est l'Institut de veille sanitaire (ancien Réseau national de santé publique) qui a la charge de cette estimation. L'hépatite B n'étant pas une maladie à déclaration obligatoire, on évalue son incidence avec une certaine incertitude, en extrapolant les chiffres donnés par les médecins du "réseau sentinelle", qui repèrent les hépatites symptomatiques (car, observant les seuls symptômes, ils n'ont aucun moyen de repérer les hépatites asymptomatiques). En 1994, on estimait le nombre annuel de nouveaux cas à 7'800, estimation révisée à la baisse sur les données de 1996 à 3'100 cas d'hépatites B symptomatiques.

Le RNSP (D. Lévy-Bruhl, I. Rebière, J.-C. Desenclos, J. Drucker) a simulé les bienfaits de la vaccination sur une cohorte d'adolescents suivis jusqu'à 30 ans. En passant le détail des calculs (disponibles pour ceux qui le souhaitent sur le site internet de l'IVS-RNSP) le RNSP estime que la vaccination évite entre 3 et 12 hépatites fulminantes et entre 12 et 58 cirrhoses du foie dont une partie évoluerait vers des cancers du foie mortels (le RNSP n'en précise pas la proportion). Bien entendu, le risque pour un individu donné varie beaucoup suivant divers paramètres personnels, dont les conduites à risques qu'il aura ou qu'il n'aura pas.

En regard, les calculs aboutissent, en extrapolant à la même cohorte les données sur les effets secondaires des vaccins exposés ci-dessus, à estimer entre 0 et 2,2 le nombre d'affections neurologiques graves (du type de la sclérose en plaques) produites par la vaccination.

Le RNSP conclut que "du point de vue de la collectivité, les bénéfices de la vaccination contre l'hépatite B apparaissent supérieurs au risque potentiel de la vaccination."

Les journaux qui avaient titré sur "le vaccin qui tue" ont titré "nous avions raison", les autres ont tiré d'autres conclusions… Vous avez peut-être souvenir des conclusions que les pouvoirs publics en ont tirés (on y reviendra dans un prochain numéro). Ils n'ont en tout cas pas retiré la responsabilité finale aux parents. D'où notre question n° 2.

 

Question n° 2:

Munis de ces informations, faites-vous vacciner votre enfant de 12 ans?

 

Rappel important

En ce qui concerne la vaccination des nourrissons, on constate l'unanimité des experts en faveur de la vaccination, puisqu'on relève une très bonne efficacité, et aucun effet indésirable grave. De plus elle dispense de la vaccination à l'adolescence, et donc des calculs statistiques dont traite cet article.

 

Jean-René Brunetière