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ELECTIONS

Octobre 2002- numéro 31[Table des matières]

 

Testis pluribus, testis nulus

J’étais l’autre soir à la nocturne de Pénombre sur les chiffres dans les campagnes électorales. Entre autres choses passionnantes, j’ai entendu cette proposition, pourtant véritable, mais dont la logique m’a étonné. (Dans l’exposé de M. Riandey sur les sondages électoraux.) « Séparément, les sondages (prévisionnels) ne se sont pas trompés, mais ensemble ils se sont trompés. »

D’ordinaire, lorsque nous entendons un témoignage, nous sommes portés à le croire, mais avec réserve. Un témoin unique peut se tromper. Mais, lorsque nous en entendons plusieurs concordants, notre confiance s’accroît. C’est du reste ce qui c’était passé là : les divers sondages pré-électoraux, malgré de petites variations, concordaient et donc nous y avons cru. Ce d’autant plus que, pour ceux qui savaient qu’un tel sondage n’est précis qu’à 2 ou 3 points près, les écarts étaient justement de l’ordre de cette incertitude.

Si nous jetons un dé et que le 6 sort deux fois de suite, ou même trois, nous nous disons que ceci est rare mais possible. Nous ne mettons pas en doute l’équilibre du dé. Mais, si le 6 sort dix fois de suite, nous commençons à penser sérieusement que le dé est pipé. Ici, nous avons pour référence que « en moyenne » (on dit : en espérance mathématique), le 6 ne devrait sortir qu’une fois sur six. Pour les sondages, nous n’avons pas cette référence. Dans un jeu de dé, ce qui nous intéresse est l’écart à l’espérance mathématique ; tandis que dans la mesure de l’opinion par un sondage, ce qui nous intéresse par delà les écarts, c’est cette valeur qui constitue l’espérance mathématique de l’instrument d’observation fluctuant qu’est le sondage.

Il était donc normal que chaque estimation s’écarte de la vérité ; mais elles n’auraient pas dû s’en écarter toutes dans le même sens. Après coup, après coup seulement, nous nous rendons compte que quelque chose avait faussé l’observation et qu’il n’aurait pas fallu accorder plus de crédit à dix témoins qu’à un seul. Il aurait même fallu en accorder moins, si ç’avait été possible !

Peut-être que pour des statisticiens cette considération est familière ; mais pour moi, j’avoue que c’était une révélation, que je souhaiterais donc faire partager aux lecteurs de Pénombre.

 

Stéphane Noir