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Lettre d'information de Pénombre

association française régie par la loi du 1er juillet 1901

Avril 2003– numéro 33[Table des matières]

 

Durée et dureté de la vie


Vivons-nous plus vieux que nos aïeux?

La vie humaine s’allonge. En France, l’espérance de vie, qui était d’environ 25 ans au milieu du XVIIIe siècle, de 45 ans au début du XXe, de 65 ans en 1950, n’est pas loin des 80 ans à l’heure actuelle et cela semble continuer. Cette espérance de vie est une durée moyenne et non une durée qui s’appliquerait au plus grand nombre. La faible valeur du XVIIIe siècle résultait d’une très forte mortalité des enfants, dont la moitié n’atteignait pas 10 ans. Une fois passé ce cap, beaucoup de gens parvenaient à un âge avancé et certains même pouvaient devenir centenaires, comme par exemple le philosophe Fontenelle (1657-1757).

D’où la question : l’allongement de l’espérance de vie est-elle due simplement au fait que de plus en plus d’individus échappent à une mort prématurée, autrement dit vivent la durée pour laquelle ils ont été programmés, ou, aussi, au fait que cette durée programmée s’allonge ?

Supposons une population où le schéma de mortalité serait le suivant : un tiers des individus décèdent à la naissance, un tiers à 40 ans et le tiers restant à 80 ans. L’espérance de vie y serait donc de 40 ans ( (0 + 40 + 80)/3 ). Supposons maintenant que, grâce au progrès médical, entre autres, on arrive à éviter la mortalité à la naissance et celle à 40 ans et que tout le monde décède à 80 ans. L’espérance de vie serait alors de 80 ans. Le doublement obtenu dans ce cas ne serait dû en rien à un allongement de la longévité de l’espèce, mais uniquement à l’évitement de la mortalité prématurée.

Prenons un exemple dans un autre domaine, celui des pneus de voiture. La durée d’un pneu, en kilomètres parcourus, dépend, comme chez les humains de sa durée programmée, autrement dit de sa robustesse, et des morts prématurées, causées par les conduites à risque et les accidents. La part de ces morts prématurées, qui n’est pas essentielle ici, a sûrement peu changé d’une génération de pneus à l’autre. Par contre la robustesse, oui. Je sais que si j’équipe ma voiture de pneus neufs, je peux compter les utiliser pour un kilométrage double de celui d’il y a quelques dizaines d’années. L’augmentation de la durée moyenne des pneus est due principalement, sinon exclusivement à l’augmentation de la longévité du produit.

Cette longévité augmente-telle dans l’espèce humaine ? Les enfants qui naissent aujourd’hui sont-ils programmés pour vivre plus longtemps que ceux d’hier ? Pour le savoir, il paraît logique de regarder l’évolution de la vie maximale. On peut penser que si celle-ci s’allonge, cela traduit un allongement de la vie de tous, c’est-à-dire, de l’espèce.

Mais ce n’est pas simple, ce qui est une façon de dire que c’est pratiquement impossible. Pour deux raisons. Le nombre d’individus très âgés, les plus de 110 ans par exemple, dépend de la taille de la population. On a donc plus de chances d’en trouver aujourd’hui, où les humains sont 6 milliards qu’au début du XIXe siècle où ils n’étaient qu’un milliard. La comparaison est biaisée. L’autre problème est un problème d’observation. L’âge atteint par Jeanne Calment, la « doyenne de l’humanité » morte en 1997 à 122 ans et 5 mois passés, n’est pas le record, mais le record attesté, car on a pu la suivre de sa naissance (on possède son acte de naissance) jusqu’à sa mort. Rien n’empêche qu’il y ait eu d’autres personnes aussi âgées, voire plus. Ainsi on fait état d’un soldat de Napoléon, Jean-Baptiste Savin, qui serait né en France en 1768, et mort en 1894 à Saratov en Russie, où il était resté après avoir été fait prisonnier par les Russes, soit à 126 ans en différence de millésimes(1). Mais ce record, qui dépasse celui de Jeanne Calment, n’est pas homologué.

En résumé on peut dire que l’augmentation de la vie moyenne depuis le temps où celle-ci n’était que de 25 ans est due principalement à la diminution des morts prématurées. Elle peut être due aussi, à une durabilité plus grande de l’espèce, mais rien ne permet de l’affirmer pour l’instant.

Qui vivra, verra !

 

Alfred Dittgen

 

(1) Le Monde, 10/19/1998, « Vague francophile sur la Volga »