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35 heures, ça fait combien au juste ?

Daniel Cote-Colisson : Oui, 35, bien entendu, c’est des trente-cinq heures que je voudrais vous entretenir quelques instants. Parce que j’ai relu non pas tous les programmes, je ne les ai pas tous retrouvés parce que je suis un peu négligent, mais j’ai tout de même retrouvé neuf programmes dans lesquels on citait les 35 heures : 7 fois pour dire, il faut les assouplir, 1 fois pour dire, on n’y touche pas et 1 fois pour dire, il faut accélérer, mais c’est tout ce que l’on a dit pratiquement sur les 35 heures. Or c’est un sujet qui méritait un tout petit peu plus de débat et entre autre car il y avait énormément de chiffres autour de tout ça.

35 heures c’est quoi ? 35 c’est ce qu’ils appellent la durée légale, c’est-à-dire le moment où quand on a dépassé ce seuil au cours d’une semaine notre patron, nous devrait théoriquement des heures supplémentaires. Simple comme définition. Donc on a commencé à travailler dans les entreprises pour passer à 35 heures. Très vite on s’est dit, 35 heures c’est une base hebdomadaire, ça ce n’est pas terrible, et si on annualisait ? Annualiser, ça veut dire que l’on décompte non plus sur la semaine mais qu’on décompte sur une année. Ça ne doit pas être très difficile ! Après tout, on est payé tous les mois, en principe, on travaillait 169 heures cela faisait 2 028 heures payées dans l’année, il n’y a qu’à calculer combien de temps on travaillait pour être payé ce montant-là : simple ? non ! Qu’est-ce qui s’est passé ? Normalement l’annualisation c’était 7 heures par jour multiplié par le nombre de jours de travail. La première circulaire que l’on a rencontrée était celle de la direction du travail à Paris qui disait une année c’est 365 jours, dont on déduit les samedis et dimanches, il y a quand même des gens qui bossent le samedi et qui ne travaillent pas le lundi, mais peu importe, donc on enlève 104 jours, on enlève onze jours fériés, on enlève 25 jours de congés payés, total égal 225. Manque de pot, il n’y a pas une seule année où les jours fériés tombaient en dehors du samedi et du dimanche… Donc il a fallu corriger. Les premières entreprises qui sont passées aux trente-cinq heures y sont passées, disons un peu massivement en 1999. 1999, c’est une année de 365 jours. Cinquante-deux dimanches, 52 samedis…

J.-R. B. : Une année sage...

D. C.-C. : Une année sage, avec 9 jours fériés, total, on arrive à 228 jours. Multiplié par 7 : 1 596 heures. (J’ai fait quelques antisèches parce que c’est vraiment trop dur). L’année d’après, 2000. Alors 2000, je ne sais pas si vous vous souvenez, c’était une année où on se posait la question de savoir si elle était bissextile ou pas. C’était quand même pas mal, parce que d’un seul coup on a retrouvé la vérité, c’est que quand c’est bissextile, non seulement on peut diviser par 4, mais quand c’est le début d’un siècle ou d’un millénaire, il faut qu’on puisse diviser par 400. Coup de pot, 2000, c’était une année de 366 jours. 366 jours, ça veut dire qu’on va travailler sans doute plus. Pas de chance ! On fait le calcul, 366 jours, c’est la seule année pendant longtemps où il y a 53 samedis et 53 dimanches ! (rires) et neuf jours fériés. Total : 226 jours x 7 = 1 582 heures. Je vous rappelle que pour la direction du travail, cela faisait 1 575. Coup de chance, les députés, pour la loi Aubry nº2, décident de fixer un seuil une bonne fois pour toutes, puisque le code du travail n’avait jamais dit comment ça se calculait, et disent, ça sera maximum 1 600 heures. Chouette ! 1 600 h, que faire avec ça ? Moi, ma question, c’était : « c’est quoi, en fait, le nombre de jours de travail d’une année ? » Et je reviens à l’an 2000. Année magique. Vous vous souvenez, on se disait : « mon magnétoscope que j’ai acheté il y a longtemps, mais qui était solide, comment je vais faire pour passer avec l’an 2000 ? » Il y en a qui ont dit : « mais ce n’est pas compliqué, tu le règles sur 1972, parce que tous les vingt-huit ans, le calendrier est exactement le même : le lundi tombe la même date etc. » Donc qu’est-ce que j’ai fait ? Ben, je me suis calculé un truc complet sur vingt-huit ans. Un dimanche où je n’avais rien à faire... (rires) et donc sur 28 ans de 72 à…


 

J.-R. B. : Compté comme un jour de travail, donc ! (rires)

D. C.-C. : Et donc sur 28 ans, de 72 à 99, j’ai répertorié tout de même 10 227 jours dont 9 219 qui sont hors jours fériés. Et je me suis interrogé en me disant : « et si je ne bosse pas le samedi, et si je ne bosse pas le dimanche, ça me fait combien ? » Divisé par vingt-huit, et je tombe pile poil à 227 jours ! Ah ! je me dis, ça c’est au moins fiable. Mais mon fils me dit : moi je travaille le samedi mais pas le lundi. Aïe ! On refait le calcul : 229 jours ! Eh bien ! oui, parce qu’il y a des lundis, le lundi de Pâques, lundi de Pentecôte, qui sont fériés, et ça sème la pagaille. Bon. C’est 1 600 heures, a dit la loi. 1 600 heures, mais si c’est 227 jours, c’est 1 589 heures, et sinon c’est 1 603. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que mon patron, quand il m’annualise, il me carotte tout simplement une journée et demie. Donc il y a un facteur d’inégalité par rapport à Toto qui est passé sur la base de 1999. Ça c’est inquiétant. Mais les facteurs d’inégalité, ça continue. Je vais vous raconter l’histoire de Germaine et de son mari. Germaine, elle travaille avec un patron social, qui a dit dès le premier jour, on passe aux trente-cinq heures. Ils se sont tous réunis et il a dit ça va très simple : il faut faire quatre heures de moins dans la semaine : 48 minutes de moins par jour. Donc, au lieu de venir à neuf heures, vous viendrez à 9h12, vous irez déjeuner à 12h48 au lieu de 13h et vous reviendrez à 14h12 et vous partirez à 17h48, 16 h 48 le vendredi. Le compte est bon. Alors heureuse ? (rires) Germaine est rentrée, et elle a dit à son mari : tu vois, je suis passée aux 35 heures. Lui, il est à l’Aérospatiale, et il lui dit : « moi aussi, j’ai 22 jours de R.T.T. » (rires) Facteur d’inégalité ! Oui, mais les jours de R.T.T., ça mérite aussi de réfléchir. Vous vous souvenez du mois de mai. C’est peut-être ce qui explique l’abstention. C’est une autre question. Puisqu’il paraît que tout le monde partait en voyage dans les agences de voyages, etc. Air France a fait moins 7 % de trafic par rapport à l’année d’avant. Mais Bison futé a dit : « c’est à cause de la R.T.T. que je ne m’y retrouve pas ». Les enquêtes disent quoi ? Elles disent il y a 60 % des gens passés aux 35 heures qui ont des jours ou des demi-journées de R.T.T. Il y a 55 % des gens qui sont passés aux 35 heures. Donc ça veut dire qu’il y a un tiers, finalement, des travailleurs du privé qui ont des jours de R.T.T., et deux tiers qui n’en ont pas. Je ne sais pas si ça explique tout, mais c’est un petit peu inquiétant quand même. Bon, on peut continuer comme ça. Le nombre d’emplois créés, 150 000, 200 000, 250 000, 300 000, 350 000 peu importe, mais en baissant de 10 %, comme c’est 39h/35h, et si on avait compensé, on faisait 2 millions d’emplois. 300 000, par rapport à 2 millions. Mais non, puisque j’ai dit tout à l’heure qu’il y en avait 55 % qui sont passés. Donc c’est 300 000 ou 350 000 par rapport à combien ? Oui mais ils ont compté « de Robien » là-dedans... Oui, mais ce n’est pas grave. C’est beaucoup, ou ce n’est pas beaucoup ? Moi, je ne sais pas. Et donc tout compte fait, je pense qu’ils ont bien fait de s’arrêter à une chose, c’est de dire ces 35 heures, il faut assouplir, et de ne pas engager le débat. (applaudissements)

J.-R. B. : Bien, alors, on était à combien ? On était à 35. 35, 36, 40, 50...

 Cinquante !

J.-R. B. : 50 ? Pas mieux que 50 ? Adjugé 50 ! (coup de marteau)
 

 
Pénombre, spécial 10ans, Mars 2003