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Lettre d'information de Pénombre

association française régie par la loi du 1er juillet 1901

Mars 2005– numéro 39[Table des matières]

 

COMPARAISONS

Un chiffre ébouriffant

Samedi 8 janvier 2005, l’éditorial en page 26 du journal Le Monde nous apprend un chiffre que l’auteur qualifie d’ébouriffant. Citons :

« Asseyez-vous bien avant de lire les lignes qui vont suivre. C’est fait ? Alors voilà : Stephen Roach, l’économiste en chef de la banque Morgan Stanley, a calculé que, de 1995 à 2002, les États-Unis, qui représentent 30 % de l’économie de la planète, ont bénéficié de 98 % du volume de la croissance mondiale accumulée. 98 % ! Autrement dit, tous les autres pays, tous les autres habitants de la Terre, 95 % des humains, n’ont eu dans leur assiette que les... 2 % restant.

En 2003 et 2004, le PIB américain a crû de 3 % et de 4,4 %, à nouveau un peu plus vite que la croissance mondiale. Ce résultat, sur une décennie, met en lumière le formidable dynamisme outre-Atlantique».

Ciel, 2 % de la croissance mondiale seulement pour l’Asie, pourtant en forte croissance, pour les PECO, en net redressement, et pour la zone Euro, qui de 1997 à 2002, a connu une certaine reprise !

J’ai consulté la source statistique de base, le World Economic Outlook du FMI. De 1995 à 2002, la croissance de l’économie mondiale en volume a été de 27,7 % (soit 3,6 % l’an en moyenne) ; la croissance de l’économie américaine, toujours en volume, a été de 25,6 % (soit 3,3 % l’an en moyenne). Comme, en PPA (parité de pouvoir d’achat), l’économie américaine représente 21 % de l’économie mondiale, sa croissance sur la période a représenté 19,4 % de la croissance mondiale ; les autres pays bénéficiant des 80,6 % restant. Avec 2003 et 2004, la croissance de l’économie mondiale est de 39,3 % en volume pour 1995-2004 ; celle de l’économie américaine de 34,9 %, représentant 18,6 % de la croissance mondiale en volume.

Bref, le partage n’est pas 98 % contre 2 %, mais, de façon plus normale, 19 % contre 81 %. Le seul point ébouriffant est que l’auteur du papier ne vérifie pas ses sources et publie à la va-vite des chiffres saugrenus, sans se demander s’ils sont crédibles.

 

Henri Sterdyniak
 

Post Scriptum: La source de l’erreur est que Monsieur Roach a utilisé, volontairement ou par inadvertance, des chiffres en dollars courants qui intègrent donc la hausse des prix et, surtout, la hausse du dollar par rapport aux autres monnaies. En 1995, le dollar était au plus bas ; en 2002, au plus haut. Ils ne donnent aucune indication sur la croissance en volume.
De 1995 à 2002, le PIB des États-Unis a augmenté de 3 089 milliards de dollars courants, le PIB du monde de 3 220 milliards de dollars (au taux de change courant) ; on retrouve bien les 98 %. Mais, ensuite le dollar a chuté. De 2002 à 2004, la part des États-Unis dans la croissance mondiale en dollars n’a été que de 16,5 %. De 1995 à 2004, le PIB des États-Unis a augmenté de 4 252 milliards de dollars courants, le PIB mondial de 10 771 milliards de dollars. La part des États-Unis dans cette croissance n’est plus que de 39 %. On voit que ces chiffres dépendent du choix arbitraire de raisonner en dollars.
En utilisant des euros courants, on constate que la croissance des États-Unis a représenté 45 % de la croissance mondiale de 1995 à 2002 ; 39 % de 1995 à 2004. De plus, le PIB des États-Unis a baissé de 1 417 milliards d’euros de 2002 à 2004 tandis que le PIB mondial baissait de 1 578 milliards. Bref, les chiffres en monnaie courante n’ont guère de sens.