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Lettre d'information de Pénombre

association française régie par la loi du 1er juillet 1901

Juin 2005– numéro 40[Table des matières]

 

PRECISIONS ET INCERTITUDES

5 millions de musulmans? Mais encore?

Prendrions-nous le temps d’analyser le phénomène - oh combien récurrent ! - de parler de la « deuxième religion de France » en ajoutant comme argument « il y a en France 5 à 6 millions de musulmans » ? Ce chiffre est un pur produit de l’imaginaire. Pourtant il est reproduit par les plus hautes personnalités de la place publique, par des militants, par des experts de quelque chose liée à l’immigration et à la religion, voire de la laïcité.

La fonction des « 5 à 6 millions de musulmans » est d’appeler l’attention de l’interlocuteur, signifiant que l’on parle d’un sujet sérieux. La preuve par des millions et des millions. Il se pourrait aussi que ce chiffre ait un lien avec la peur de la présence de musulmans en France, ressentie par beaucoup comme une menace. Mettons que l’on aurait dit : « il y a 75 000 musulmans en France ! ». C’est un chiffre imaginaire - comme l’autre, donc aussi valable que l’autre - mais c’est ridicule. Ça ne peut pas faire peur. Ce n’est pas à la hauteur de leur dangerosité présupposée. « 10 millions » ? Là, c’est trop... encore que quelques-uns l’ont essayé, mais cela n’a pas pris. « 5 - 6 millions » paraît être un bon indicateur de peur.

Il y a bien des musulmans, avertis et connaisseurs, qui ne croient pas à l’histoire des 5 millions. Mais qu’est-ce qui arrive quand on essaye de corriger ? Très mauvais effet ! Vu comme une tentative de rabaisser l’importance de la présence des musulmans en France, cela voudrait dire diminuer substantiellement le nombre de victimes des discriminations dont ils seraient objet, donc diminuer l’importance de ces discriminations.

L’usage du terme « musulman » associé à Islam insinue que ces musulmans (« ethniques ») sont des pratiquants de la religion musulmane, alors que l’on n’admettrait pas que l’on dise que les 60 millions de résidents en France (protestants, musulmans et autres, inclus) sont des catholiques religieux. Cela en principe n’enlève rien au fait que, probablement, l’Islam est réellement la deuxième religion de France. En effet, l’inclusion des résidents étrangers provenant de pays connotés comme musulmans et supposés dotés de populations 100 % croyantes, est une démarche inacceptable. Pour quelle raison les Assyro-chaldéens, chrétiens, habitant à Sarcelles devraient être comptés comme musulmans ? Parmi les Turcs, comptés comme musulmans à 100 %, n’y a-t-il pas d’athées ? Avec l’absence de statistiques et l’existence de très rares sondages permettant d’estimer le nombre de musulmans en France, on pourrait se limiter à deux notions : les « culturellement musulmans » et les « pratiquants musulmans ».

Estimation des supposés « culturellement musulmans »

Le Haut Conseil à l’intégration, pourtant composé, entre autres, par des chercheurs qui pouvaient bien interpréter des statistiques officielles, n’a pas réussi à les redimensionner. Faisant état du manque de statistiques confessionnelles, des estimations (reprises de A. Boyer) ont été faites à partir des chiffres du recensement, pour finir par avancer discrètement « 4 à 5 millions de musulmans », corroborant indirectement l’usage du « 5 millions de musulmans ». En l’absence de variables « ethniques » dans les recensements, ce que certains font est le contournement par les statistiques de nationalité, en additionnant les résidents étrangers en France de pays qui ont la renommée d’être musulmans. Même en suivant ce critère, on n’arrive pas à 5 millions. Certes, il faudrait ajouter les descendants d’étrangers venus en France en provenance de pays musulmans. En exploitant l’information sur l’origine nationale des parents, l’enquête Familles de l’Ined (L’Express, 4-10 décembre 2003) permet un calcul englobant les Français descendants de parents supposés musulmans. Ce calcul permet d’arriver à un chiffre maximum de 3,7 millions de supposés musulmans, en incluant des non-musulmans de pays musulmans, des areligieux , des agnostiques et des athées, et tous les non pratiquants (culturellement musulmans, mais non religieux ou ne pratiquant que les rites ethno-religieux). Resterait encore à tenir compte des convertis provenant d’autres cultures. Ils sont estimés à 30 000. Pour faire large, on pourrait pousser jusqu’à 50 000. Nous aurions ainsi 3,75 millions de supposés musulmans en France.

Estimation des musulmans pratiquants (au delà des rites ethno-religieux tels que le ramadan)

Pour mesurer l’importance de l’Islam, il est discutable d’inclure tous ceux qui font le ramadan et qui, dans cette période-là ne mettent pas les pieds dans une mosquée ou dans un lieu de culte. Une enquête de l’Ined de 1995 estimait qu’un tiers du nombre supposé de musulmans par la culture était pratiquant. Ceci nous conduit au chiffre d’environ un million de musulmans en France.

Dans l’impossibilité quasi absolue de connaître la part de la population musulmane qui fait les cinq prières quotidiennes, la fréquentation des mosquées en France est un indicateur bien plus plausible qu’une enquête ou un sondage, où les interrogés n’osent souvent pas donner une image sociale d’eux-mêmes qui ne serait pas conforme aux principes de la croyance islamique. Le calcul de la fréquentation des mosquées et autres lieux de culte, devrait tenir compte de leur capacité (nombre de places), mais surtout de leur taux de remplissage ou de fréquentation moyenne. Ce dernier calcul, faisable, n’est pourtant pas disponible. La capacité totale des lieux de culte musulman de tout genre n’est pas connue. Pour la calculer il faut utiliser la répartition par trois grandes classes de capacité : 1001 places et plus (I), 501 à 1000 places (II) et de 1 à 500 places (III). Selon la dernière statistique du ministère de l’Intérieur (et des Cultes) cette répartition est la suivante :

Classe I : 20
Classe II : 54
Classe III : 1611

Appliquant une fréquentation de 1 500 personnes à la classe I, nous obtiendrons 30 000 pratiquants. Une fréquentation de 750 personnes dans la classe II donnerait 40 500 autres pratiquants, et enfin, une moyenne de 250 personnes pour la classe III donnerait 402 750. Total : 473 250. En ordre de grandeur, nous pourrions retenir un demi-million, c’est à dire 10 % du chiffre qui est avancé lorsque l’on parle de l’importance de l’islam en France. Compte tenu que la fréquentation moyenne de 250 personnes pour les lieux de capacité inférieure à 500 places est largement surévaluée, l’estimation d’un demi-million de pratiquants est aussi encore surévaluée.

 

Albano Cordeiro

N.d.l.r. La question du nombre de musulmans en France a déjà donné lieu à plusieurs articles dans Pénombre : dans le n°15, La religion du nombre : musulmans et intégristes et Commentaires ; dans le n°24, La statistique du n’importe quoi. La question plus générale du chiffrage des minorités a fait l’objet d’un numéro hors série Enquêtes et origines de janvier 2002 (sur le site www.penombre.org).

Le présent article devrait susciter de nouvelles réactions. À vos plumes Pénombriens !