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Lettre d'information de Pénombre

association française régie par la loi du 1er juillet 1901

Décembre 2005– numéro 41[Table des matières]

 

MAJORITES ET MINORITES

Les langues minoritaires au pays de Racine: polyphonie ou dialogue de sourds?

La charte européenne des langues régionales   ou minoritaires comporte des clauses contraires à la Constitution », a déclaré le Conseil constitutionnel le 15 juin 1999. Mais qu’est-ce qu’une langue minoritaire ? En quoi la ratification de la charte était-elle potentiellement menaçante pour l’ordonnancement de la République ?

N’est pas minoritaire qui veut…

Spontanément, chacun a une perception de ce qu’est une langue « minoritaire ». Partout en France, la politique séculaire d’enseignement public a fait du français la langue majoritaire. Cela concède un caractère résiduel aux autres langues pratiquées, avec plus ou moins de vitalité et de volonté, sur certaines portions du territoire national. Précisément ! Voilà un point sensible de la définition d’une langue minoritaire : faut-il que ses locuteurs soient groupés sur une partie du sol national ? Autrement dit, une langue dont les utilisateurs résideraient aux quatre points cardinaux de la République n’aurait-elle pas droit à être « minoritaire » ?

Le critère de l’assise territoriale, en apparence aisé, présente une certaine rationalité. Il serait, dans cette optique, logique de reconnaître le breton dans trois départements délimités et connus (Finistère, Côtes- d’Armor et Morbihan) ou le basque utilisé dans un seul, lui aussi circonscrit (les Pyrénées-Atlantiques), etc. Mais quid des locuteurs du breton ou du créole en région parisienne ? Du corse dans les Bouches-du- Rhône ? Ne sont-ils pas minoritaires par rapport à la langue parlée dans leur milieu ambiant ? Une langue « minoritaire » serait-elle forcément majoritaire dans les espaces qui correspondent à son assise territoriale « naturelle » ? Rien n’est moins certain. De quoi en perdre son latin et… donner sa langue au chat !

Il est loin d’être avéré que le breton serait majoritaire, de nos jours, sur quelque aire que ce soit, même en Bretagne. Le flamand et l’occitan - à supposer même qu’il n’y ait qu’une langue occitane - non plus. En tout cas, en qualité de langue employée le plus fréquemment par ceux qui en possèdent les rudiments. Et puis, doit-on reconnaître des droits propres aux locuteurs de ces langues, exclusivement dans les parcelles du territoire national où elles sont censées être « moins minoritaires » qu’ailleurs ?

C’est là un point essentiel de la charte européenne. Ce texte n’aurait qu’un faible intérêt et une portée somme toute négligeable s’il se contentait de reconnaître le droit à l’usage de langues définies comme telles. Du moins, en France, où cet usage ne pose pas de difficulté dans la vie privée et bénéficie d’une consécration à travers des enseignements proposés par l’Éducation nationale.

Retour à Babel !

Mais la Charte prévoit que l’on puisse employer ces langues dans un contexte officiel, administratif ou judiciaire. Elle impose en effet à chaque État de faire application d’au moins 35 de ses paragraphes ou alinéas (des nombres, toujours des nombres), dont un au moins dans chacun de ses articles consacrés respectivement à la justice, aux autorités administratives et aux services publics. D’où les foudres du Conseil constitutionnel, eu égard à la reconnaissance par la Constitution du français comme langue officielle de la République.

Pourrait-on ainsi exiger d’échanger avec la préfecture du Haut-Rhin, des correspondances en alsacien ? En corse avec la direction départementale du travail de Corse du Sud ? De plaider coupable dans une des vingt-huit langues canaques, devant le tribunal de Nouméa ? Voilà qui dépasse l’implantation, aussi pittoresque que pédagogique, de panneaux d’indication bilingues sur la voie publique… Où pourrait-on imposer, dans des espaces publics et dans des contextes mettant en scène usagers et agents de services publics, sa langue minoritaire ? Dans des limites prédéterminées et correspondant à des traditions culturelles ? Mais lesquelles ? Le breton ne bénéficie-t-il pas d’une « assise » territoriale au moins équivalente dans les quatorzième et quinzième arrondissements parisiens qu’en Bretagne même ? Comment mesurer cette audience ?

Pourquoi vouloir à tout prix, pensera le lecteur, compliquer à l’envi les données du problème en voulant absolument prendre en compte la diffusion sur l’ensemble du territoire national de ces langues, à l’origine repliées sur des espaces plus restreints ? Et ce alors que, précisément, la charte en question fournit elle-même une définition des langues régionales ou minoritaires : « langues parlées traditionnellement sur un territoire d’un État par des ressortissants de cet État qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population de l’État et différentes de la (des) langue(s) officielle(s) de cet État, exception faite des dialectes de la langue officielle et des langues des migrants », ainsi que des territoires concernés : « aire géographique dans laquelle cette langue est le mode d’expression d’un nombre de personnes justifiant l’adoption des différentes mesures de protection et de promotion » prévues.

Cette liaison entre langue et territoire a été censurée par le Conseil constitutionnel qui, en raison de cette reconnaissance de droits spécifiques à des groupes de locuteurs à l’intérieur de territoires, y a décelé une atteinte à l’indivisibilité de la République, à l’égalité devant la loi et à l’unicité du peuple français. Cela laisse à entendre, a contrario, que si aucun lien n’avait été opéré par la charte entre langues et territoires, lesdits principes auraient été saufs… Interprétation juridiquement discutable, mais, en toute hypothèse sur le plan pratique, difficile à mettre en œuvre. Elle reviendrait effectivement à admettre que l’on puisse non seulement utiliser mais imposer l’usage à des interlocuteurs officiels du breton, du basque, de l’alsacien, du mosellan, du flamand, des créoles, du corse, etc… sur n’importe quelle portion du territoire français !

D’autant plus impraticable que le Gouvernement français était allé dans le sens d’une plus grande complexité encore en manifestant le souhait de vouloir reconnaître comme langues minoritaires des langues sans assise territoriale précise comme le rom ou des langues parlées au sein de groupes non localisés précisément, langues provenant de mouvements migratoires et n’ayant dans aucun autre pays le statut de langue officielle ! En suivant cette ligne de conduite, que la charte n’imposait aucunement, les langues berbères, le galicien, le frioulan, le sarde, le hmong, le môn, les langues kurdes pour se limiter à quelques- unes, auraient pu se prévaloir du statut reconnu de langue minoritaire au sens de la charte.

Où aurait été fixée la limite ? Une micro-communauté pourrait-elle obliger l’administration et la justice à faire usage de son idiome, au prétexte qu’elle est minoritaire alors que cet idiome ne jouirait nulle part ailleurs sur la planète d’une reconnaissance officielle ? En fait, à quelques exceptions près, auraient pu être considérées comme langues minoritaires au sens de la charte, la presque totalité des langues parlées de par le monde… Et dans le même esprit, le Gouvernement, s’agissant des langues « territorialisées » en France, était prêt à reconnaître parmi celles-ci chaque variante de la langue d’oïl et des langues d’oc(1)…De quoi parler français comme une vache espagnole(2)!

De la bonne volonté à l’égard de certaines cultures localisées et vivantes, l’on serait passé au risque d’un baragouin généralisé, entremêlant les notions de langues, de régions et de minorités sans que l’on puisse discerner ce qui relève de l’une ou de l’autre précisément. Las ! la charte n’est pas près d’entrer en vigueur dans la patrie de la langue de Molière. Pourtant, certains ne pourront s’empêcher de songer combien il aurait été chic de plaider sa cause en dialecte picard devant les juridictions du « caillou » calédonien, ou d’adresser à la direction départementale de l’équipement de la Somme une demande en kanak…

Mais, foin de regrets se réjouiront les adeptes du bon docteur Zamenhof, le galimatias formé par ce débat tombera en complète désuétude lorsque l’espéranto aura, enfin, rang de langue véhiculaire ! Peut-être, mais échappera-t-on alors à la question de savoir si le volapük et l’ido devront être dotés du statut de langues minoritaires ?

 

Chadanou Doubsar

(1). Mais il est vrai qu’au sein de l’Ordre des chevaliers de Malte, trois « langues », c’est-à-dire au sens de l’Ordre, trois nations faisant partie de la France étaient représentées : celles de France, d’Auver- gne et de Provence…

(2). Expression dont on rappellera qu’elle est la corruption de « parler le français comme un Basque l’espagnol », plus cohérente eu égard à la capacité des bovins, qu’ils soient originaires d’un versant ou de l’autre des Pyrénées, à parler le français.