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Blanc-gris

Pénombre a diffusé pendant deux ans sa lettre d’information avec une régularité fluctuante. Cette périodicité aléatoire n’a pas laissé de forger un style où le sérieux le dispute à l’amusement hétéroclite. Un risque pourtant semble se renforcer avec les derniers numéros, celui de déséquilibrer ce mélange en faveur de textes les plus longs, d’une lecture parfois plus ardue - des textes de fond, comme on dit. Certes ils ont leurs mérites : le filon que nous avions commencé de creuser nous entraîne ou entraîne certains à vouloir, par endroits, creuser plus profond.

Cela nous amène à créer une nouvelle « prestation » destinée en priorité aux membres de Pénombre. Notre lettre d’information sera dorénavant doublée d’une « lettre grise », la suivant, bien entendu, comme son ombre.

Cette lettre pourrait être grise comme la littérature de même couleur pour les scientifiques, c’est-à-dire faite de documents qui ne sont pas encore venus au plein jour de l’édition, ou qui n’y viendront jamais ou en sont sortis depuis longtemps. Documents qu’on ne peut acheter de façon anonyme et que l’on reçoit au travers d’un réseau d’échanges plutôt informel. Cette nouvelle lettre pourra rendre accessibles des textes d’origines diverses. Bien des réflexions sur notre thème fondateur se retrouvent éparses dans des communications dont seul l’auteur conserve le texte, des notes ne quittent pas l’entourage d’un groupe de travail, de pesants rapports recèlent quelque trésor relégué au milieu d’annexes oubliées, des articles ou des opuscules sont devenus introuvables.

Proposer un écrit pour la lettre grise n’empêchera pas son auteur de reprendre les mêmes idées dans une publication plus lumineuse ou plus consistante, ni les lecteurs de Pénombre de suivre ainsi le cheminement d’une réflexion.

Pour ceux qui ne la recevront pas en tant qu’abonné adhérent, la Lettre grise sera disponible moyennant participation aux frais de fabrication et d’envoi.

Cette nouvelle initiative est donc un appel. Les huit numéros de ce qui deviendra la lettre blanche nous ont rassurés : ceux qui ont des oreilles pour entendre, entendent. Les autoroutes de l’information sont si embouteillées par l’inutile que les nombres y circuleront de plus en plus démunis de leur mode d’emploi. Que ceux qui s’en inquiètent retrouvent notre adresse, postale, téléphonique, télécopique ou électronique, peu importe la vitesse. Mais n’attendez pas trop quand même, bientôt il sera trop tard pour ces combats que l’on dit d’arrière-garde et qui, à y bien regarder, sont déjà du prochain millénaire.

Il n’est pas seulement triste d’avoir remplacé les gardiens de phare par des machines transistorisées, il est surtout dramatique de ne plus retrouver dans les yeux de quelques-uns la transparence acquise à scruter, pour leurs contemporains, le gris de l’horizon.

LN

 
Pénombre, Décembre 1995