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Cachez cette complexité que je ne saurais voir Longueur de la détention provisoire et peine prononcée

LE NUMERO d’avril 2005 des dossiers du Canard enchaîné, intitulé « L’horreur judiciaire », consacre naturellement un chapitre à la détention provisoire. On y trouve le passage suivant : « Plus la détention provisoire est longue, plus la dose de prison ferme est importante. Une longue enquête du chercheur Pierre Tournier relève qu’une personne qui a subi 1 à 2 mois de détention provisoire ramasse - c’est quasi mathématique - 1 à 2 mois. Celui qui l’a endureé 2 à 3 mois écope, lui de 2 à 3 mois etc. Les chances d’être condamné à une peine inférieure au temps de séjour en provisoire sont infimes ».

Voilà ce que le journaliste longuement reçu a « ramassé » de mes propos. Ce que j’avais essayé de faire passer était un peu plus compliqué1. Peine perdue.

Le jeu des 7 précisions

1 - « Les dossiers du Canard » sont publiés en 2005 ; les données mobilisées se réfèrent, elles, aux années 1983-1984 : elles ont donc 20 ans. Cela ne remet pas complètement en cause leur intérêt compte tenu du peu de travaux sur le sujet, mais n’aurait-il pas été utile d’en informer le lecteur ? Le domaine a fait l’objet de quelques réformes législatives d’importance entre-temps.

2 - La situation examinée dans cette recherche n’aborde que partiellement la question des liens entre détention provisoire effectuée et peine prononcée. On a étudié ce que devenaient les personnes mises en détention provisoire et bénéficiant, en cours d’instruction, d’une ordonnance de mise en liberté. Nous avons, cinq ans après leur libération, examiné leur casier judiciaire pour savoir s’ils avaient été condamnés à la suite de cette détention provisoire et si oui à quelle peine. Il n’est donc pas question ici des prévenus encore détenus au moment du procès.

3 - Résultats ? 22 % n’ont pas été condamnés (pas d’inscription au casier), 36 % ont fait l’objet d’une condamnation sans privation de liberté et enfin 42 % ont été condamnés à une peine privative de liberté (ferme ou mixte c’est-à-dire avec un sursis partiel). Ainsi pour une majorité d’entre eux (58 %), la détention provisoire n’a pas été suivie d’une condamnation à une peine (ferme) privative de liberté.

4. - Il n’existe pas de corrélation entre la proportion de condamnés parmi les libérés et le temps passé en détention provisoire.

5. - Mais en cas de condamnation, plus la détention provisoire est longue, plus la proportion de condamnations à la prison ferme est importante : de 28 % pour les durées « de moins de 15 jours », à 92 % pour les durées de « six mois et plus ».

6. - En cas de condamnation à la prison ferme, le quantum ferme prononcé est statistiquement lié à la durée de la détention provisoire effectuée.

7. - Dans 4 % des cas de condamnation à la prison ferme, la peine est inférieure à la détention provisoire effectuée.
22 % + 36 % + (4% x 42 %) = 60 % des libérés ont échappé à toute sanction, ou ont été condamnés à une peine non carcérale, ou à une peine ferme inférieure à la détention provisoire. 60 % une chance infime ? Si on veut…

De toute évidence, les canetons ont eu droit à un dossier incomplet, partiel, voire partial.

Pierre V. Tournier

1. Pierre Tournier, France-Line Mary, Carlos Portas, Au-delà de la libération. Observation suivie d’une cohorte d’entrants en prison, CESDIP, 1997.


Pénombre, Décembre 2005