--

Chiffres accablants

LES PROBLEMES de l’assurance maladie nous valent, dans les journaux, force articles et statistiques sur les différentes sortes de dépenses et les causes de leur évolution. Le Monde du 8 juin 2004 s’intéresse aux indemnités journalières versées aux salariés en arrêt de travail. Reprenant un rapport de l’administration d’octobre 2003, il titre “ la montée des congés maladie illustre des relations sociales durcies ”, ce que les faits rapportés dans l’article ne permettent pas d’étayer ou tout au plus permettent de formuler comme une hypothèse explicative jouant à côté d’autres. En sous-titre, on nous dit : “ Les dépenses d’indemnités journalières ont augmenté de 46 % entre 1997 et 2002 (...) ”.

Ce 46 % placé en vedette doit nous interpeller. D’abord : est-ce en euros courants ? ou, en euros constants ? Dans l’article, à propos de 1993, on dit “ en valeur ” : nous pouvons donc supposer qu’il en va de même pour les autres années. L’indice des prix a progressé d’un peu plus de 6 % de 1997 à 2002. En monnaie constante, le 46 % en question serait donc ramené à 38 % : c’est encore beaucoup, mais déjà moins grave. En second lieu, cette déduction de l’indice des prix est peut-être insuffisante, car les indemnités journalières sont un pourcentage du salaire. Il faudrait donc déduire encore la hausse du pouvoir d’achat des salaires, pour avoir une vue de ce qu’est l’augmentation de l’absentéisme en lui-même. N’ayant pas les données sous la main, je n’ai pas fait ce calcul, mais le pourcentage incriminé doit tomber probablement autour de 30 %.

L’évolution 2002-2003 est cependant curieuse. On nous dit que la hausse des dépenses a été de 5,6 % (ce qui, compte tenu d’à peu près 2 % de hausse des prix, ferait 3,6 % en valeur réelle) et que le nombre de journées indemnisées est passé de 200 à 213,5 millions, soit une progression de 6,7 %. Ceci voudrait dire que le coût moyen de la journée indemnisée aurait reculé (même en euros courants) d’environ 1 %. Ce qui montre que la supposition que je viens de faire, à savoir l’indemnité élémentaire varie comme le salaire, n’est pas exacte. Il doit donc y avoir, derrière les chiffres qu’on nous montre, des modifications de la structure des indemnisations (selon l’âge, la catégorie professionnelle ou d’autres facteurs). On nous montre aussi l’évolution du nombre des indemnisations de plus de trois mois, mais sans nous dire ce qu’il en est des arrêts plus courts : se pourrait-il que la durée indemnisée augmente sans que le nombre de personnes en arrêt maladie croisse ?

J’en retire que l’analyse qu’on nous présente (que ce soit celle du rapport d’origine ou la sélection du journaliste) reste très incomplète. Trop pour que nous puissions comprendre ce qui se passe. En tout cas, il y a davantage que les facteurs que l’article propose : fraude, vieillissement et pathologies psy. Le corps de l’article commençait par “ au premier abord, les chiffres sont accablants ”. Soit ! Et, au deuxième abord ?
 
 
Jean-Pierre Haug

 
Pénombre, Août 2004