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Clair-obscur

« Je me suis demandé souvent en quoi consistait cette beauté, et comment il me serait possible de la décrire, si je voulais en faire passer le secret dans l’âme d’un autre. Quoi ! sans couleur, sans forme, sans ordre et sans clarté, les objets extérieurs peuvent-ils, me dira-t-on, revêtir un aspect qui parle aux yeux et à l’esprit ? Un peintre seul pourra me répondre : Oui, je le comprends. Il se rappellera Le philosophe en méditation de Rembrandt : cette chambre perdue dans l’ombre, ces escaliers sans fin, qui tournent on ne sait comment ; ces lueurs vagues du tableau, toute scène indécise et nette en même temps, cette couleur puissante répandue sur un sujet qui, en somme, n’est peint qu’avec du brun clair et du brun sombre ; cette magie de clair-obscur, ce jeu de lumière ménagé sur les objets les plus insignifiants, sur une chaise, sur une cruche, sur un vase de cuivre ; et voilà que ces objets qui ne méritent pas d’être regardés, et encore moins d’être peints, deviennent si intéressants, si beaux à leur manière, que vous ne pouvez pas en détacher les yeux, ils existent et sont dignes d’exister. »

George Sand
Texte proposé par Pierre Tournier

 
Pénombre, Février 1995