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Comptes immoraux

Nous lisons dans la presse que, pour les élections de novembre 2006 aux États-Unis, les médias auraient eu 3,1 milliards de dollars de recettes publicitaires. Il faut forcément que cet argent vienne de quelque part. Ceux qui l’ont versé – que ce soient les partis sur leur propre caisse, les hommes politiques sur leurs deniers ou de généreux donateurs industriels ou autres – doivent en tirer quelque avantage. De là à dire que les gens parvenus au pouvoir vont « se payer sur la bête » ou récompenser leurs bienfaiteurs avec l’argent public, il n’y a qu’un pas.

Lorsque j’étais étudiant, je m’étais un jour étonné des budgets publicitaires des grandes firmes : ces dépenses étaient inévitablement répercutées dans les prix de vente et je demandais pourquoi les consommateurs acceptaient de payer ce surcoût : les produits qui ne font pas de publicité étaient a priori moins chers à qualité égale. J’attendais un argument psychologique contre lequel j’avais d’avance une réprobation morale : les gens sont des imbéciles et on leur fait gober ce qu’on veut. Mais mon professeur d’économie m’a expliqué que ce n’était pas là le bon raisonnement. Pouvoir vendre un produit en plus grandes quantités permet de le fabriquer à moindre coût : on appelle ça les économies d’échelle. L’augmentation du prix de vente n’est donc pas évidente. Au total, on peut ainsi satisfaire un plus grand nombre de consommateurs sans qu’aucun d’eux ait à payer plus cher.

Cependant, j’ai du mal à transposer ce raisonnement au marché politique. En effet, les consommateurs de la politique publique, c’est-à-dire les administrés, sont en nombre donné : c’est la population du pays en cause. Le surcoût de la publicité n’est donc pas réparti sur un nombre plus grand ni compensé par une baisse du coût de production de l’administration. Voter pour un parti qui fait de grandes dépenses de campagne semble donc bien annoncer que cela est ou sera ponctionné sur l’argent public ou transformé en trafic d’influence.

Mais enfin, cela se passe aux États-Unis.

Jean-Pierre Haug