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De canard ou d’oie ?

La presse a récemment rapporté comment les magistrats d’une cour d’appel de province tranchaient avec un certain humour le noeud du conflit entre voisins, habitants d’une campagne bucolique, s’agressant par gallinacés sonores interposés.
 

Nous n’avions pas cru jusque là devoir faire état des courriers analogues que nos lecteurs ne cessent de nous envoyer et qui montrent combien même dans des régions tranquilles et dans des milieux au combien respectueux des valeurs d’ordre, les représentants du pouvoir judiciaire affrontent des situations cauchemardesques. Nous rompons aujourd’hui le silence et transcrivons intégralement et littéralement le contenu d’un procès-verbal de synthèse d’enquête que nous a fait parvenir une fidèle lectrice de Tours. Comme on peut le constater, l’humour est encore une vertu que partagent nos gendarmes qui, même à l’égard de leurs collègues militaires, savent en faire usage pour apaiser des rapports brûlants. Et pourtant, voués au classement sans suite sans renom, ces documents n’enrichiront pas la jurisprudence des litiges suscités par les anatidés, beaucoup plus complexe et étendue que celle des gallinacés. Nous invitons les lecteurs de Pénombre à partager notre sentiment d’injustice.

« Nous soussignés L. H. et H. H., gendarmes, agents de Police Judiciaire de la brigade de J. P., vu les articles 20 et 75 du code de procédure pénale, rapportons les opérations suivantes que nous avons effectuées, agissant en uniforme et conformément aux ordres de nos chefs. Ce jour cinq septembre mil neuf cent quatre vingt dix, en service de surveillance générale, sommes avisés à neuf heures trente, par le gendarme de permanence à notre unité, que le chef de corps du Nième Régiment d’Infanterie, le Colonel de L, demande notre concours suite à la disparition d’un duvet à la 13e compagnie du régiment. « Nous nous transportons immédiatement sur les lieux. »
 

Enquête

« Le 5 septembre 1990, à 10 heures, L’Adjudant-Chef R, Officier de Police Judiciaire de notre unité, requiert le Colonel de L, de nous laisser pénétrer sur le domaine militaire afin de procéder à notre enquête (Pièce N°2).

« A 10 heures 05, nous entendons l’Adjudant C, adjoint au peloton d’élèves-gradés à la 13e compagnie, qui s’est aperçu de la disparition. Il nous explique que le duvet, qui était roulé, a disparu du bureau entre 11 heures 30 et 12 heures, le 04 septembre 1990. Il n’a aucun soupçon mais précise qu’à son départ à 11H30, il y avait une réintégration de duvets qui s’effectuait à coté de son bureau (pièce N°3).

« A 10 heures 30, nous entendons le sergent SG, fourrier de la compagnie. Il nous déclare qu’à cette heure là, il y avait effectivement une réintégration de duvet par le sergent T. Ce dernier en aurait réintégré 35 au lieu de 36 car il en manquait un. Il nous précise que les duvets rendus étaient dépliés, et que le sergent T s’est représenté 10 minutes plus tard pour réintégrer le dernier duvet, qui était roulé, qu’il a dit avoir trouvé dans son bureau de section (pièce N°4).

« A 12 heures, nous entendons le sergent T, reconnaît que lors de sa réintégration, il lui manquait effectivement un duvet. Il affirme que celui qu’il a rendu 10 minutes plus tard, il l’a retrouvé dans son sac et qu’il ne l’a pas pris dans le bureau du P.E.G. Il ne peut expliquer ni pourquoi ni d’où vient le duvet qu’il avait dans son sac. D’après lui, il devait l’avoir en trop.

« De ses explications, il ressort que le sergent T, n’a pas su faire le compte des duvets qu’il avait perçus car au lieu d’en rendre un qu’il avait brûlé en manœuvre, il en a donné un de sa perception de 36. Hors, le duvet brûlé est encore en sa possession, ce qui fait qu’en recomptant tous les duvets, il n’en manque plus. (Pièce N°5).
 

Clôture

De l’enquête effectuée à la 13e compagnie du Nième régiment d’infanterie, il ressort qu’il n’a pu être établi avec certitude où est passé le duvet roulé du bureau du P.E.G.

Si des vérifications avaient été faites d’après le cahier de perception, les responsables des duvets se seraient vite aperçus qu’il y avait le compte exact de duvet à la 13e compagnie.

Des contacts pris dernièrement avec la 13e compagnie, il y aurait maintenant deux duvets en trop. »

Fait et clos à J. P., le 20/12/1990
Le gendarme L. (muté), Le gendarme H.

Lucio Nero

 
Pénombre, Août 1996