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De quoi ils se plaignent ?

Au moment où j’écris ce papier, les lycéens manifestent contre le gouvernement qui veut réduire le nombre de professeurs, ce qui donne lieu à l’habituelle bataille de chiffres. À ce propos, on a entendu parler d’un nombre d’élèves par professeur, lequel est de 12,2, chiffre repris semble-t-il d’un rapport de l’OCDE qui concerne l’année 2005. Sur le coup je me suis fait la réflexion du titre de cet article. Et je ne suis pas le seul. Exemple : sur le forum de France 2 un enseignant écrit « Jamais je n’ai eu 12 élèves par classe. Ce qui a été dit au JT est soit une erreur, soit une volonté de présenter les enseignants comme des super-nantis… »

En fait ce n’était pas une erreur. Il s’agissait bien du nombre d’élèves par professeur, à ne pas confondre avec le nombre moyen d’élèves par classe. La confusion est facile, en particulier dans le primaire, où les deux sont très proches, respectivement 19 et 20 d’après ce rapport, car dans la grande majorité des cas il y a un seul enseignant par classe. Dans le secondaire, par contre, où les élèves ont beaucoup plus d’heures à ingérer que les enseignants à dispenser, les différences sont importantes. En collège, par exemple, on a 14 élèves par professeur mais 24 élèves par classe en moyenne.

Ce nombre d’élèves par professeur ne servirait-il donc qu’à jeter le discrédit sur les enseignants comme le suggère notre internaute ? C’est le cas s’il est présenté sans précaution. Cela étant, cet indicateur, comme celui du nombre d’élèves par classe, n’est pas sans intérêt. De même que l’on s’attendrait à ce que la santé soit d’autant plus satisfaisante que le nombre d’habitants par médecin est faible, on s’attendrait à ce que les performances des élèves soient d’autant meilleures que le nombre d’élèves par enseignant est faible. Une enquête internationale, l’enquête PISA*, s’efforce de mesurer ces performances en mathématiques, lecture et sciences chez les élèves de 15 ans, c’est-à-dire, à la sortie du premier niveau du secondaire. On constate qu’en 2006, elles sont effectivement bien meilleures en Finlande, pays où le nombre d’élèves par professeur est de 10, qu’en France, où ce nombre, on vient de l’écrire, est de 14. Mais ces performances sont également bien meilleures en Corée, pays qui talonne la Finlande ; or le nombre d’élèves par professeur y est de 21 ! Mais toutes choses sont-elles égales par ailleurs ? Reste également à voir la valeur des données de cette enquête, l’importance des écarts entre les pays...

Un mot encore du nombre moyen d’élèves par classe, plus parlant que celui du nombre d’élèves par professeur. 24 élèves par classe au collège, ce n’est pas scandaleux ; 20 en primaire, encore moins. Le problème c’est qu’il s’agit de moyennes, ce qui, comme dirait Cyrano, est un peu court. En primaire, en particulier, il y a des classes avec très peu d’élèves - lesquelles ne sont pas faciles pour autant car il s’agit généralement de classes à plusieurs niveaux ou de classes d’élèves en difficulté - ce qui signifie qu’il y en a qui dépassent ce nombre. C’est pourquoi il faudrait ne pas se contenter de la moyenne, mais accompagner celle-ci du nombre ou de la proportion de classes qui dépassent le nombre d’élèves jugé comme admissible.

On s’approcherait ainsi de la réalité des conditions de travail des enseignants. Enfin, plus ou moins, car les choses paraissent encore plus compliquées si on suit cet autre enseignant qui écrit sur le même site : « J’ai bossé dans des classes de collège avec des effectifs variant de 21 à 31... Très curieusement j’avais l’impression de me reposer dans une bonne classe à 31 et de m’épuiser dans une autre classe de ZEP à 21. »

Vanité des chiffres !

Alfred Dittgen

* Enquête menée, depuis 2000, tous les trois ans dans les 30 pays membres de l’OCDE et dans de nombreux pays partenaires.