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Dénombrement par sondage

Nos lecteurs savent qu’il n’existe pas de dénombrement régulier des pratiquants ou des croyants des diverses religions représentées en France. Seules quelques enquêtes permettent de donner des ordres de grandeur (cf. infra pour les musulmans). Le sondage Harris interactive commandé par SOS racisme et l’UEJF met donc les personnes interrogées dans une situation inconfortable en leur demandant de donner un chiffre pour les juifs et pour les musulmans.

Ces réserves n’empêchent pas la présentation des résultats comme l’indice d’une xénophobie croissante. Ainsi peut-on lire dans Métro (23 mai 2011) : « Alors que l’on compte environ 5 millions de musulmans et 600 000 juifs en France, les sondés ont largement surévalué ces chiffres. En moyenne, ils estiment qu’il y a 7,5 millions de musulmans (18 % pensent même qu’ils sont plus de 10 millions) et 3,7 millions de juifs. Une exagération qui reflète “un sentiment d’envahis¬sement” d’une partie des Français, estime Arielle Schwab, présidente de l’UEJF pour qui “la communauté arabo-musulmane mais aussi les juifs sont de plus en plus considérés comme une épine étrangère dans le pied de la France”. »

Sur le site Harris interactive, la note de synthèse des résultats disait ceci : « La dispersion des réponses apportées aux questions visant à indiquer le nombre de musulmans, de juifs, de mosquées avec minarets ou de rues dans lesquelles des musulmans prient le vendredi en France montre que les Français (sic) semblent surévaluer le nombre de personnes relevant de ces confessions. Les Français estiment qu’en moyenne, il y a en France aujourd’hui 7,5 millions de musulmans et 3,7 millions de juifs. »

Puis, dans le développement venait une présentation un peu plus claire à propos de cette « dispersion des réponses » : « Par ailleurs, les Français estiment que 1,5 millions de juifs vivent aujourd’hui en France, et ils évaluent à 5 millions le nombre de musulmans en France (chiffres médians). Notons également que près d’un Français sur cinq (18 %) pense qu’il y a aujourd’hui plus de dix millions de musulmans vivant sur le territoire français, dont une partie citant un chiffre nettement supérieur : ainsi, si le chiffre médian cité par les Français est de 5 millions, la moyenne arithmétique est de 7,5 millions (et 3,7 millions pour les juifs). » Et un peu plus loin : « On le sait, il n’existe pas de statistiques officielles. Reste que ces chiffres peuvent être aujourd’hui considérés comme dépassant vraisemblablement la réalité. ».

Comme souvent, il n’est pas très facile de vérifier comment l’institut de sondage arrive à ces résultats. Mais le document livrant les résultats « détaillés » permet au moins de connaître la répartition des réponses par classes, choisies semble-t-il sous l’empire de l’attrait pour les nombres ronds. Pour les musulmans, la vérification du calcul de la médiane est facile puisque 5 millions est une borne de classe. La somme des pourcentages de répondants en dessous de cette valeur est bien 50 %. Il y a juste un bémol : parmi l’autre moitié des réponses figurent les « ne se prononce pas », soit 14 %. La médiane calculée sans les NSPP est nécessairement inférieure à 5 millions ! Pour les réponses concernant le nombre de juifs, c’est moins facile puisque l’on peut seulement lire que 38 % des réponses se situent sous 1 million (dont 23 % sous 500 000) et 24 % de 1 à 5 millions. On note d’ailleurs que 16 % des réponses dépassent 5 millions tandis que 22 % ne se prononcent pas. Une valeur de 1,1 million pour la médiane reste possible.

Une conclusion plus correcte, à supposer qu’il soit justifié de retenir les estimations données dans Métro, serait de dire que moins de la moitié des personnes interrogées avance un chiffre supérieur pour les musulmans et environ les trois quarts pour les juifs. Mettre une telle méconnaissance au compte d’un réflexe identitaire, c’est aller un peu vite. Pour contrôler cette interprétation, on aurait pu demander aux personnes interrogées de dire, selon elles, combien il y a en France de Français !

Reste que les estimations proposées pour la « bonne » réponse ne sont pas sans poser d’autres questions.

B. Aubusson de Cavarlay

Pénombre, Juin 2011