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Éditorial (Lettre blanche n° 48 - avril 2008)

PÉNOMBRE s’intéresse aux chiffres, moins aux mots, en principe… et pourtant. Ne serait-ce pas plutôt les mots qui posent problème ? Les mots mis sur les chiffres, s’entend, les appellations qu’on leur donne… Quelques exemples :

Les célèbres « prélèvements obligatoires ». Une fois le terme posé, le chiffre qui vient dessous a-t-il encore une importance ? C’est forcément « trop ». N’importe quel chien de Pavlov sait ça. Alors, 39,7 %, ou 63,2 % ou un autre chiffre, ça n’a aucune importance. C’est « trop », évidemment trop.

Les « chiffres de la délinquance » : « trop », forcément « en hausse ». Qu’importe le détail du chiffre ?

Le « nombre de fonctionnaires » : bien trop !… Mais au fait, combien sont-ils ? 3 millions ? 4 millions ? 5 millions ? Bien trop, vous dis-je !…

Les « dépenses de santé » (en croissance inquiétante, bien entendu…)

Alors, si on changeait les mots, au lieu de raffiner les chiffres ?

On dirait « indice de solidarité » au lieu de « taux de prélèvements obligatoires » : après tout, c’est bien de ça qu’il s’agit (le volume des services collectifs et des redistributions sociales).

On dirait « travail de la police » au lieu de « chiffres de la délinquance » (ce serait en toute rigueur plus exact).

« Nombre de professeurs, d’infirmières, de policiers… » plutôt que « nombre de fonctionnaires ».

« Chiffre d’affaire du secteur santé » plutôt que « dépenses de santé » ?

Ce que l’on choisit de mesurer, et le nom qu’on lui donne, détermineraient-ils la conclusion, avant même toute mesure ? Le chiffre, pris au mot, serait-il pris au piège ?

Le même mot anglais figure traduit nos mots « figure », « chiffre », « statistiques » : les Anglais ont bien vu que dans le débat public, le chiffre est utilisé effectivement pour figurer, pas pour compter. Et si les intitulés des chiffres sont bien choisis, le masque des mots suffit, la « figure » elle-même devient inutile.