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Éditorial

Vois, la lampe pâlit, l’âtre scintille et fume ;
Si tu ne parles pas, le feu qui se consume,
Et la lampe, et nous deux, nous allons tous mourir.

Victor Hugo, La grand’mère, 1825

CINQUANTE-CINQ NUMÉROS en dix-huit ans, sans compter le numéro manquant, cela fait en moyenne trois par an. Mais en dix-huit ans, le monde a changé. Alors la moyenne a-t-elle un sens ? Pour certains lecteurs, un trimestre sans lettre est un signe d’usure. Ce qui passait pour une saine maturation de notre produit dans les années quatre-vingt-dix serait aujourd’hui inadaptation au rythme de la vie contemporaine.

Il suffit de penser à la quantité d’âneries numériques et de manipulations chiffrées mises en circulation en une semaine pour douter de la capacité de réponse de Pénombre ! Le lundi un ministre se plante grossièrement dans un calcul de proportion. À l’Intérieur par exemple, le titulaire déduisant faussement la proportion d’enfants d’immigrés parmi tous les enfants en échec scolaire à partir du risque relatif d’échec scolaire des enfants d’immigrés. On a tout juste le temps de suivre ses tentatives maladroites pour trouver une justification auprès de la statistique publique. Le vendredi suivant, c’est déjà le ministre de l’Éducation qui ne sait plus appliquer la règle de trois requise pour un exercice de CM2…

Alors ça blogue et ça twitte de partout et le lundi d’après, tandis que ces feux continuent de gagner, un nouveau feu (nouveau fil) démarre. Combien de centaines de millions d’euros les agriculteurs vont-ils obtenir du ministre de l’Agriculture (un autre fort en maths) après une sécheresse record ?

Combien de milliards d’euros va coûter la révision des centrales nucléaires françaises pour les mettre à l’abri d’un accident nucléaire majeur dont la probabilité estimée est de l’ordre de un pour un million « année-réacteur » ? À quoi bon cette dépense si de toutes façons la probabilité globale d’un tel accident devient supérieure à 100 % puisque la somme de ces petites probabilités augmenterait inexorablement année après année. Dix grains de sable passent inaperçus. Dix millions font plus qu’un petit tas. Un tas aussi haut que l’on voudra, il suffit d’attendre un peu, justement…

Et toi, Pénombre, après tant d’alertes, pourquoi n’es-tu pas au palmarès du Twittoscope ? Si tu ne parles pas, allons-nous tous mourir ? Tu cherches de l’huile pour la lampe et une bûche pour le feu ? Demande à tes adhérents, à tes lecteurs, ils vont venir à ton secours ! Ou alors, il te faudra brûler le papier de tes Lettres blanches l’hiver prochain. Tu en parles à l’assemblée générale ? Alors dis-nous ce qui se prépare…

 

Pénombre, Juin 2011