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Enseignants à plein temps

Les enseignants des lycées et collèges étaient massivement en grève le lundi 18 décembre 2006 pour protester contre un projet de suppression de décharges d’enseignement qui reviendrait pour un certain nombre d’entre eux à augmenter leurs heures d’enseignement ou à voir leur salaire baisser. À cette occasion certains intéressés ont laissé entendre par pancartes et interviews qu’ils travaillaient en moyenne 43 heures par semaine. Ce chiffre résulte d’une enquête d’un de leurs principaux syndicats, le SNES, « opération vérité », qui s’oppose au temps trouvé par le ministère et son enquête : 40 heures. Ces chiffres et cette controverse me laissent un peu dubitatif. Car comment compter ce temps et le peut-on ?

Quand le travail se déroule dans une usine ou dans un bureau, pour mesurer sa durée on prend en compte le temps de présence, souvent vérifié par une pointeuse. C’est un pis-aller, car le temps en question peut inclure bien des minutes à ne rien faire de productif. Mais à partir du moment où les partenaires sont d’accord sur cette convention, il n’y a rien à redire. Pour les enseignants le temps de travail est celui passé devant les élèves au lycée ou au collège. S’y ajoute celui consacré à régler des questions pédagogiques et administratives sur place et le travail de préparation et de correction, fait en grande partie au domicile… ou dans les transports collectifs.

Pour mesurer ce temps hors cours, il faudrait des conventions, c’est-à-dire des accords entre les deux parties sur ce qu’il faut compter ou pas. Faut-il décompter le quart d’heure à prendre un café entre deux piles de copies ? Faut-il au contraire compter la demi-heure de préparation du cartable le dimanche soir ou l’heure d’insomnie passée à chercher la meilleure manière de présenter la règle de trois ? De plus, l’observateur doit être un tiers. Or les nombres d’heures des enquêtes en question, qu’il s’agisse de celles du ministère ou de celles du syndicat résultent des déclarations des intéressés et n’ont pas fait l’objet des conventions en question. De plus, l’enquête syndicale ayant pour objet de contrer le chiffre du ministère, on voit difficilement qu’elle aboutisse à un chiffre égal ou inférieur.

Cette controverse n’a donc guère de sens. Il vaudrait mieux partir des faits avérés. Quand les horaires statutaires d’enseignement ont été institués, il y avait un certain accord pour dire que les 18 heures des certifiés correspondaient à un temps plein. Depuis lors, les enseignants ont été gratifiés de nombreuses tâches administratives et pédagogiques. Par ailleurs ils n’ont pas bénéficié de la loi sur la réduction du temps de travail. Il y a là suffisamment de quoi revendiquer plutôt que d’invoquer des temps de travail difficilement comparables à ceux de l’OS en usine, de la caissière du supermarché ou de l’employé de la Sécu à son bureau. Le métier d’enseignant est plus un état qu’une fonction. Un bon enseignant l’est le jour et la nuit, dans son établissement et chez lui, durant l’année scolaire et pendant les vacances. Il s’apparente aux chercheurs, aux artistes et à toutes ces catégories dont les pensées sont en permanence occupées par leur travail… heureusement. Archimède n’a-t-il pas découvert que « tout corps plongé dans un liquide… » dans son bain et Newton la gravité universelle à sa sieste ?

Alfred Dittgen