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In vino veritas (à quelques litres près)

Je rebondis sur l’interrogation émise par Gérard Grancher dans la Lettre blanche numéro 50 de Pénombre (IAL m’a tuer) : évidemment le nombre de tués sur la route par habitant n’est pas un bon indicateur, ni de la dangerosité du réseau routier local, ni de la plus ou moins bonne conduite dont feraient preuve les habitants du département. Mais, au-delà du problème de la circulation routière sur lequel Jean-René Brunetière a déjà répondu, on peut constater maints usages erronés de la population comme dénominateur.

Par exemple, l’Insee a été accusé récemment de surestimer les chiffres de la consommation de vin en France, ce qui aboutit à présenter les Français comme les plus grands buveurs du monde, donnant par là des armes aux ligues antialcooliques. « L’Insee diffuse annuellement un chiffre de consommation proche de 54,4 litres de vin par an et par habitant, calculé ainsi : le volume de vin taxé vendu en France divisé par le nombre d’habitants », explique Jérôme Baudouin, journaliste de l’Association de la presse du vin (APV). Pour une argumentation complète, je renvoie le lecteur au numéro 18 de mars 2008 de Presse-vin, journal de l’Association de la presse du vin1. L’éditorial est titré « Remettre les chiffres à leur place ! », l’article principal « Consommation de vin : les vrais chiffres pour la France » et un dernier papier « Bidonnage des chiffres ». Celui-ci est signé par Bernard Burtschy, professeur de statistique à l’École nationale supérieure des télécommunications, que je n’ai pas l’honneur de connaître mais que l’éditorial présente comme « un des statisticiens les plus compétents et les plus respectés de ce pays ». Il n’y a donc pas que Pénombre pour tenter de remettre un peu d’ordre et de raison dans l’usage des chiffres !

L’argumentation qui y est présentée est tout à fait recevable : en effet, l’achat et la consommation de vin en France ne sont pas l’apanage des seuls résidents en France. Beaucoup de touristes viennent en France pour y bien manger et y bien boire, et il n’est pas rare qu’ils repartent chez eux avec le coffre plein de bonnes choses. Si l’on se souvient qu’il en est venu quelques 80 millions l’année dernière, ça peut représenter quelques bouteilles. Sans compter les Anglais qui traversent la Manche aller-retour rien que pour remplir leur coffre de boissons alcoolisées. En bref, rien n’autorise à baptiser « consommation moyenne des Français » le rapport entre la consommation de vin en France et le nombre des résidents en France. Ou alors il faudrait, comme le fait le Luxembourg – que l’on découvre au passage classé devant la France au palmarès de cette fameuse « consommation moyenne par habitant » – accoler un avertissement précisant que ces chiffres sont gonflés par les achats transfrontaliers. On pourrait aussi évidemment se baser sur une enquête de consommation réalisée auprès des ménages résidant en France.

En fait, ce problème d’usage inapproprié de la population comme dénominateur se retrouve chaque fois que la mobilité de la population entre en jeu. D’où la proposition de distinguer la « population résidente », mesurée par le recensement de la « population présente »2 en un lieu à un moment donné. Tout ceci demanderait de longs développements que je ne ferai pas ici aujourd’hui. Mais cette étude de la population me permet quand même d’apporter des éléments de réponse à l’angoissante question d’un lecteur de Pénombre il y a quelques années (« 70 millions de touristes… et moi, et moi ») qui s’inquiétait de voir que le nombre de touristes étrangers en France dépassait le nombre de Français : en 2005 (année de référence de l’étude), on a dénombré 76 millions d’arrivées de touristes étrangers en France mais, un jour donné, ils n’ont jamais été plus de 4 millions à être présents sur le territoire français, ce qui rééquilibre quelque peu la vision des masses en présence.

Christophe Terrier

1. « Consommation de vin : les vrais chiffres pour la France » http://www.presse-vin.com/Pressevin.com_2008.pdf

2. « Mobilité touristique et population présente : les bases de l’économie présentielle des départements » http://www.christophe-terrier.com/presence