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L’argent des votes

Nicolas Meunier
« One man, one vote », et one euro et quelques : l’argent des votes

Deux nombres viennent immédiatement à l’esprit pour ceux qui ont suivi les débats des élections : 1,66 et 8 500. Nous verrons qu’il est également utile de maîtriser quelques notions de géographie, et plus exactement de connaître la localisation de la ville de Metz.

L’argent des votes... Suite aux nombreuses discussions sur lesquelles il n’est pas ici le lieu de revenir, les partis politiques en France sont subventionnés par la République, directement, depuis 1988. Chaque année, le pays répartit deux « cagnottes », pour reprendre un mot connu, chacune d’un peu plus de 40 millions d’euros (soit 263 millions de francs pour ceux qui renâclent encore). La première est distribuée en proportion des votes reçus au premier tour des élections législatives. 24 millions de votants en 1997, cela donne 1,66 euro par votant, soit près de onze francs chaque année. La seconde en fonction du nombre d’élus au Parlement : 575 députés et 321 sénateurs, cela donne 896 élus, soit environ 44 700 euros (presque 294 000 francs).

Il serait facile de souligner, mesquinement, que « un élu rapporte autant que 27 000 votants ». Mais cela devrait être complété par une vraie discussion de sciences politiques. En revanche, un regard rapide sur les données est riche d’enseignements. On peut difficilement éviter de remarquer, selon des chiffres plus détaillés, que la première enveloppe a été partagée entre 44 formations politiques, dont 21 seulement ont profité de la seconde. Les dix formations les plus populaires (soit celles qui ont recueilli plus de 200 000 suffrages) ont recueilli 94 % de la première cagnotte. Mais trois parmi ces dix (la troisième, la huitième et la neuvième) n’avaient aucun représentant au Parlement, et n’ont donc pas pu avoir accès à la seconde cagnotte. Croiser ces données avec des données socio-économiques serait certainement riche d’enseignements, mais il s’agit d’un vrai travail pour lequel le COGNE n’avait pas vraiment les moyens. On aurait peut-être dû se présenter aux élections.

À ce propos, des esprits chagrins ont vu dans ce système la cause de l’inflation des candidatures. Les petites listes qui se multiplient sont-elles des « chasseurs de voix » ? L’augmentation des candidatures (on en a dénombré près de 8 500 en 2002 contre 5 254 en 1993 et 6 367 en 1997, soit 60 % de hausse en 10 ans) a également eu lieu à la présidentielle (pour laquelle ce genre de mécanisme ne peut être soupçonné puisque la République se borne à rembourser une partie des frais de campagne, quel que soit le résultat). Cela remet en cause la certitude de la causalité « argent des votes – inflation des candidatures ». Quand même, puisqu’on parle de point aberrant, il faut signaler la liste « Metz pour tous ». J’espère qu’il n’y a pas d’électeur de cette liste dans la salle, mais j’ai statistiquement peu de chances : en 1997, la liste a recueilli... 2 voix.

Pour mémoire, et pour empêcher les excès, une formation ne pourra participer au partage de la première cagnotte qu’à condition de présenter des candidats dans au moins 50 circonscriptions. Mais cette disposition ne s’applique pas aux formations présentant des candidats dans les DOM ou les TOM. L’Assemblée nationale elle-même constate ici un problème, dans un avis dont je vais vous donner le numéro, puisque nous sommes dans les nombres, le n°3 324 de la 11e législature de la Ve république. Car la liste « Metz pour tous », et c’est là qu’il faut faire appel à vos connaissances en géographie, n’a présenté ses candidats qu’en Guadeloupe. Je cite l’avis de l’Assemblée : « bien entendu, ce parti n’a pas fait campagne, n’a même pas mis de bulletin de vote à la disposition des électeurs, mais a recueilli 2 voix et le parlementaire métropolitain fondateur et dirigeant de ce parti a ainsi pu se rattacher à cette formation pour le calcul de la deuxième fraction de l’aide publique en la faisant bénéficier de près de 300 000 francs » (précisons qu’il s’agit bien évidemment d’un sénateur).

À vous de tirer les conclusions. Sans oublier que la multiplication des candidatures ne signifie pas une augmentation de l’aide, mais un plus grand fractionnement. Une remarque en passant, afin d’éclairer certains débats politiques actuels : la tendance, pour les grandes formations, est à l’hégémonie et à la construction de « super-partis » tandis que les petites claironnent que la démocratie passe par la multiplicité.

À propos de démocratie, et pour conclure, la nouvelle méthode de financement est sans doute un progrès, puisqu’elle suppose la rupture d’un lien de type « lobby ». A-t-elle vraiment mis fin aux pratiques nauséabondes des années précédentes, ou y a-t-il eu un déplacement ? Il est certainement trop tôt pour juger. Mais, en bon esprit chagrin, j’aimerais souligner un effet pervers du nouveau système : il ne pousse pas les partis à se battre pour qu’augmente la participation aux élections. En effet, le nombre de votants n’est pas a priori connu. Sur les 40 millions d’électeurs, seulement 24 millions s’étaient déplacés en 1997 : d’où le rapport 40 / 24 qui donne 1,66. Chaque voix de 1997 a rapporté 1,66 euro au parti qui l’a reçue. Mais s’il y avait eu 50 % d’abstention, chaque voix aurait représenté 2 euros. Comme dans un jeu « cavalier seul », chaque parti a intérêt à ce que le moins de gens votent à l’exclusion de ses propres électeurs. Cela, avec le fait que les sièges à l’Assemblée sont distribués en fonction des votants, ce qui décourage le vote blanc, va certainement en contradiction avec le message ressassé depuis le « séisme » du 21 avril « allez voter ». Quel trésorier de parti se battra pour « allez voter pour qui vous voulez, mais votez ». C’est tiré par les cheveux ? Certainement. Mais voyez les choix, faits, assumés et exprimés, en matière de parité...

 
 
Pénombre, spécial 10ans, Mars 2003