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La plus riche

"L’Île-de-France, région la plus riche d’Europe" titre Le Monde (14.8.1998), qui ne fait que reprendre le titre de l’AFP (13 août), comme le font à des variantes près des confrères : La Croix, Les Échos, Libération, Nice Matin, Le Parisien,… Touche de prudence, La Correspondance Économique met "le plus riche" entre guillemets. L’Humanité préfère décaler un peu : " L’Île-de-France, région leader de l’Union européenne" ; mais, chacun sait que c’est la richesse qui conduit le monde… En fait, c’est l’INSEE qui avait donné le ton : "En termes de PIB, la France est le deuxième pays le plus riche et l’Île-de-France la première région de l’Union Européenne."

Voilà des résultats qui font mouche ! Mais, que signifient-ils ?

 
"Le plus"

Si l’Île-de-France a le plus grand PIB, c’est qu’elle est à beaucoup d’égards la plus grosse (en population, etc.) Si le découpage politique et administratif était autre, le résultat affiché serait différent sans que la réalité économique diffère en rien. Si l’on avait découpé la région capitale en plusieurs, leurs rangs auraient été plus modestes. A l’inverse, réunir PACA et Rhône-Alpes les mettrait ensemble à la 4e place, au lieu de la 10e et 16e place respectivement dans ce classement européen. Un tel classement reflète avant tout le découpage. Il ne reprendrait un certain sens que si les territoires ainsi délimités avaient une certaine cohésion, une unité qui permette de l’interpréter en termes de pouvoirs. Ceci peut dans une certaine mesure se dire d’un pays, où les acteurs économiques sont unis par une même législation monétaire, fiscale et sociale ; ce n’est pas le cas d’une région.

Plus significative, sans doute, est une "richesse" par tête. En comparant les PIB par habitant, on a une idée, non de la puissance de la région, mais du résultat de son activité, de sa performance. Ce classement était aussi proposé dans l’étude de l’INSEE. C’est de lui que s’est saisie la Chambre de commerce et d’industrie de Paris pour relativiser le concert médiatique (cf. Correspondance Économique du 17 août) et plaider que, au 5e rang seulement selon ce critère, la situation de la Région n’était pas si brillante (et donc méritait assistance).

 
"Riche"

Mais, que veut dire ce mot ? On l’emploie sans trop y penser, mais ça fait vibrer. Parfois, on parle de la richesse de quelqu’un pour désigner ce qu’il possède, son patrimoine, sa fortune. Parfois, pour désigner son revenu. Sans doute, l’un et l’autre ne sont pas sans lien : la fortune s’accroît du revenu non dépensé et celle-ci peut engendrer un revenu. Mais, enfin, ce n’est pas synonyme. Ici, on n’a pas mesuré le patrimoine des régions : la valeur des terres, des bâtiments, des usines, de la propriété intellectuelle. Il ne s’agit pas non plus du revenu des régions : en comptabilité nationale, pour passer du produit intérieur brut au revenu, il faut d’une part retrancher les amortissements et d’autre part faire la balance des revenus reçus de l’extérieur et de ceux payés à l’extérieur. Avec des placements à l’étranger et des travailleurs frontaliers, on peut avoir, à la limite, un produit intérieur nul et cependant un revenu.

Ou alors, on ne s’intéresse pas au titulaire de cette richesse, mais au lieu où elle se crée. Le Pofesseur Brunet, dans une interview aux Échos déclare "c’est Milan qui produit aujourd’hui le plus de richesses en Europe". Tandis que le Télégramme de Brest regrette que "la richesse" née "en Bretagne pèse peu en Europe". Question philosophique : est-on riche quand on crée de la richesse ? et, plus riche quand on en crée davantage ?

René Padieu

 
Pénombre, Décembre 1998