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Le chômage des jeunes : un sur quatre ou un sur douze ?

ON ENTEND ENCORE DIRE régulièrement, y compris de sources « autorisées », qu’un jeune sur quatre serait au chômage. Cette affirmation a été maintes fois démentie, preuves à l’appui… mais elle a la vie dure !

Admettons qu’on soit d’accord :
 - sur le champ géographique (la France métropolitaine),
 - sur la population concernée : les personnes résidentes (en France métropolitaine, donc) et non pas, par exemple, les personnes possédant la nationalité française.
 - sur « l’erreur admissible » : en dessous de 22,5 %, on devrait dire « un sur cinq » ; au-dessus de 29,1 %, on devra dire un sur trois ; on pourrait être plus sévère en considérant qu’au-dessus de 27,5 % on arrondirait plutôt à « 3 sur 10 » qu’à un sur quatre, mais soyons magnanimes : gardons cette fourchette large, de 22,5 à 29,1 %.

Ceci étant admis, il ne resterait plus qu’à s’entendre sur deux définitions : celle du jeune et celle du chômage. C’est apparemment le plus simple, mais c’est pourtant là que le bât va blesser…

Le jeune, d’abord. La définition qu’on en donnera spontanément est certainement très variable selon l’âge de l’observateur - on parle de « jeunes retraités » - et de sa position sociale - pour un sénateur, le « jeune » est un moins de 35 ans, non éligible à la Chambre haute ! Si on s’en tient aux moins de 30 ans, il y a au moins trois « seuils supérieurs », chacun d’entre eux pouvant de plus être dédoublé selon que l’on inclut ou non la borne supérieure : 20 (ou 19) ans, 25 (ou 24) ans et 30 (ou 29) ans. On rencontre d’ailleurs ces trois seuils, sans sortir du site internet de l’INSEE. Retenons 25, borne supérieure exclue, soit les « 24 ans ou moins », ceux qui n’ont pas encore atteint leur 25ème anniversaire. Ceci conduit à admettre - avec quelque réticence pour le quinquagénaire que je suis - que la jeunesse s’envole le jour du 25ème anniversaire de l’intéressé. Et tout en étant conscient que la population des 20-24 ans et celle des 25-29 ans sont certainement très différentes, fort distinctes de celle des « moins de 20 ans », et certainement elles-mêmes très hétérogènes. Et non sans observer, et s’émouvoir un peu en tant que citoyen, que l’âge de la majorité légale n’est apparemment nulle part retenu comme seuil pertinent.

Le chômage ensuite. L’INSEE le définit ainsi : « Le chômage représente l’ensemble des personnes en âge de travailler (15-74 ans1), privées d’emploi et en recherchant un ». L’Institut ajoute : « Sa mesure est complexe. Les frontières entre emploi, chômage et inactivité ne sont pas toujours faciles à établir. Il y a en France deux sources statistiques principales sur le chômage : les statistiques mensuelles du ministère du Travail, élaborées à partir des fichiers de demandeurs d’emploi enregistrés par l’ANPE, et l’enquête emploi de l’INSEE, qui mesure le chômage au sens du BIT. » On parle bien de deux sources « principales ». En effet, on pourrait au moins en citer une troisième : le recensement de la population, également effectué sous l’autorité technique de l’INSEE2. Retenons la définition « au sens du Bureau international du travail ». Tout en étant conscient que ce seul point soulève des objections et nourrit de vastes débats. Pour ne citer qu’un exemple : une personne ayant travaillé une heure au cours de la semaine précédente n’est pas considérée comme chômeuse « au sens du BIT ».

Avec ces deux définitions du jeune et du chômage, il y aurait environ 650 000 chômeurs de 24 ans ou moins. On peut donc déjà apprécier l’affirmation « un jeune de moins de 25 ans sur quatre est au chômage » si on connaît le nombre de « moins de 25 ans » résidant en France métropolitaine : environ 19 millions. 650 000 / 19 000 000 = 3,4 %, soit à peu près un jeune sur trente !

Visiblement, l’expression « moins de 25 ans » est inexacte. Où est l’erreur ? Il fallait aussi fixer un seuil inférieur. L’âge de la scolarité obligatoire (16 ans) serait sans doute le meilleur. Mais admettons 15 ans, seuil le plus souvent cité. Non sans quelques observations : si l’apprentissage est ouvert dès l’âge de 14 ans, on peut donc travailler dès avant 15 ans, y compris en France. Peut-on chômer ? Admettons que non, mais cette question à elle seule mériterait débat, ne serait-ce que parce que les moins de 15 ans sont nombreux à travailler de par le monde.

Nous avons maintenant une formulation précise, plus claire : « un jeune de 15 à 24 ans sur quatre est au chômage ». Elle traduit le fait que le taux de chômage « au sens du BIT » serait voisin de 25 %. Mais les « 15 à 24 ans » étant environ au nombre de huit millions, les 650 000 considérés comme chômeurs sont à peu près un sur douze ou un sur treize (8 %). Donc toujours pas « un sur quatre ». Où est l’erreur ?

L’erreur vient de ce que le taux de chômage rapporte ces 650 000 personnes à la « population active », c’est-à-dire à l’ensemble de ceux qui ont un emploi ou en cherchent un… toujours au sens du BIT. Effectivement cette « population active » des 15-24 ans est voisine de trois millions. Le taux de chômage des 15-24 ans serait donc de 22,1 % en décembre 20053. Huit millions de jeunes de 15 à 24 ans, dont trois millions « d’actifs »… Quid des cinq autres millions ? Ils sont officiellement « inactifs ». En fait, nombre d’entre eux sont encore scolarisés. Voilà la clé de l’énigme : annoncer qu’un jeune sur quatre est au chômage, quand la réalité est proche d’un sur douze, c’est oublier qu’il existe des jeunes de 15 à 24 ans qui sont encore élèves ou étudiants ! On peut imaginer des erreurs encore plus flagrantes, mais difficilement…

Sans prétendre ici analyser l’entrée des jeunes dans la vie active dans ses principales dimensions (emploi, études, chômage, précarité, immigration et émigration) formulons quelques observations supplémentaires, nullement exhaustives :
 - Le « taux de chômage » n’est évidemment pas constant entre 15 et 24 ans. Probablement nul ou quasi-nul à 15 ans, il monte (semble-t-il jusqu’à 30 % vers l’âge de 20 ans) et décroît ensuite pour avoisiner 20 % vers l’âge de 25 ans. Il ne suffit donc pas d’en avoir précisé les seuils pour définir un ensemble pertinent, doté d’un minimum d’homogénéité.
 - Les étudiants « inactifs » peuvent être contraints de chercher des emplois rémunérés pour payer leurs études.
 - Une partie de l’allongement des durées d’études peut dissimuler une forme de chômage, ou en constituer une conséquence indirecte (quand on poursuit ses études parce qu’on ne trouve pas d’emploi ou avec l’espoir d’accroître ses chances sur le marché du travail).
 - Le « taux d’emploi des jeunes de 15 à 24 ans » est censé être de 26,4 % en France, quand il atteindrait 61,3 % au Danemark4. Personne - semble-t-il - n’en déduit que 73,6 % des jeunes résidant en France seraient sans emploi, bien que cette affirmation semble, quant à elle, formellement exacte. Mais on est ici fondé à se demander s’il n’y aurait pas « quelque chose de pourri », sinon au royaume de Danemark, du moins dans les comparaisons internationales… ou dans la manière dont elles sont énoncées !

Quoi qu’il en soit, l’affirmation « un jeune sur quatre est au chômage » pose problème. Non seulement au regard de la rigueur méthodologique - dont on a seulement évoqué ici la complexité - mais aussi du point de vue de son usage dans l’espace public. Volontairement ou non - c’est à la limite secondaire - ce résumé chiffré, erroné, d’une réalité sociale (beaucoup plus complexe encore que les choix techniques qui fondent sa description) peut conduire à une analyse et à des décisions contestables, comme certaines exonérations de cotisations sociales. Ou venir justifier de manière fallacieuse des décisions parfaitement inopportunes.

Alain Gély

1. Non, ce n’est pas une faute de frappe. On peut travailler à 74 ans, par exemple comme évêque ou sénateur.

2. À celui de mars 1999, le nombre de personnes à la re- cherche d’un emploi était de 3 401 611. Ce chiffre correspond plutôt à la perception, subjective mais respectable, que les personnes ont de leur propre situation. Le nombre de chômeurs au sens du BIT n’était alors « que » de 2 932 000 (CVS), soit quelques 500 000 de moins.

3. Informations rapides, INSEE 6 mars 2005, taux de chômage mensuel au sens du BIT. Il s’agit de données « corrigées des variations saisonnières » concept qu’on ne commentera pas ici. Remarquons au passage que 22,1 est plus proche de 20 que de 25. Ce qui conduit à dire : « un jeune actif sur cinq au chômage » et non « un jeune sur quatre ».

4. Source OCDE, citée par Le Figaro du 31 mars 2006.

 

Pénombre, Juillet 2006