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Les cossards chez Sarko

On sait enfin ce qui a valu à Paul Mourier d’être convoqué, penaud, dans le bureau du ministre. Tout avait pourtant bien commencé, pour ce jeune homme prometteur : une scolarité exemplaire, des études supérieures honorables, un début de carrière administrative efficace, au service d’un futur ministre, l’organisation des Jeux olympiques d’hiver qui lui vaudront quelques années plus tard les honneurs de la carrière préfectorale. Le 15 décembre 2004, il est nommé préfet de la Lozère, charge qu’il assume avec la tranquillité sereine du chef d’un département sans souci.

Avec, en moyenne, 170 faits de délinquance constatés chaque mois, ce département dispute chaque année à la Creuse, au Lot et au Cantal les dernières places du classement national de la criminalité. Seulement voilà, les temps changent… Très loin de là, à Paris, début juillet 2006, les statisticiens du ministère de l’Intérieur mettent à jour les indicateurs de la délinquance départementale mensuelle. Les vacances approchent, le ministre de l’Intérieur est d’humeur badine. Sa vie sentimentale s’épanouit, Jean Réno vient de l’inviter à l’événement mondain de l’été, son prochain livre s’écrit tout seul et le chef du gouvernement a pris un mauvais courant d’air. Tout va bien place Beauvau.

Il est assis à son bureau, un sourire béat aux lèvres, ses petits doigts boudinés pianotent le refrain de « que je t’aime » sur son maroquin bordeaux quand son chef de cabinet frappe à sa porte. Les statistiques sont bonnes (mais en est-il d’autres ?), et pourtant, il faut être dur, les Français l’exigent. Sévère mais juste, comme disait un général, un jour. Il parcourt le document, tous les indicateurs sont là, les départements dans l’ordre numérique le plus parfait. Son doigt caresse la Corse du Sud, se tend sur les Bouches-du-Rhône, gratouille le Bas-Rhin, balaye d’une pichenette la Seine-Saint-Denis… Toujours les mêmes, c’en est rageant… Sur sa gauche, une carte de France présente ces mêmes résultats de façon plus jolie. Son œil la parcourt rapidement, de gauche à droite, quand il est attiré par une tache plus foncée que les autres.
 - Dis-moi, Laurent, c’est quoi le 48 ?
 - La Lozère, Nicolas, chef-lieu Mende, deux arrondissements, 25 cantons, 185 communes, 72 825 habitants pour 5 167 kilomètres carrés. C’est calme…
 - Comment ça calme ? Une hausse de 71 % des violences au mois de juin ? Mais c’est l’invasion des profanateurs de sépultures ! Appelle-moi le préfet !

À partir de cet instant, tout est allé très vite : communiqué très bref, conférence de presse pour fustiger la chienlit, noms honorables jetés en pâture aux journaux. Le Midi libre se faisant un plaisir de diffuser l’information : le préfet de Lozère est convoqué, avec vingt-sept autres, chez Nicolas Sarkozy pour expliquer ses mauvais résultats en matière de criminalité.

C’est en sautant dans les gorges du Tarn, du pont de Montvert, un élastique aux chevilles, qu’on peut le mieux se figurer l’état d’esprit du préfet Mourier ce jour-là et la dépression qui s’ensuivit.

Pour vous, lecteurs, Pénombre a tenu à en savoir plus sur les événements de la fin du printemps 2006 qui ont mis la Lozère, pour la première fois depuis la bête du Gévaudan, sur le devant de la scène judiciaire.

Et nous voici, avec les résultats d’une enquête, reprise par l’Agence France-Presse. Selon nos sources, il y aurait eu 12 faits de vol avec violence en juin 2006 sur le département, contre 7 en 2005, donc bien une hausse de 71 %. Et l’AFP précise (22/09/06) « le vol d’une paire de chaussettes, de bonbons et de magazines dans quatre magasins différents est la cause de l’augmentation de 300 % des vols enregistrés au commissariat de Mende sur les six premiers mois de l’année, a-t-on appris de source proche du dossier. Sur la même période de 2005, le commissariat de Mende n’avait enregistré qu’un seul délit de ce type : le vol d’un pot de yaourt dans un hypermarché, a-t-on précisé de même source ». Les vols dans quatre magasins commis par un jeune homme ont donc fait exploser les statistiques.

Selon certaines sources non autorisées, une automobile de couleur sombre et immatriculée dans le Cantal aurait été repérée au centre de Mende au moment des faits. Certains parlent de complot statistique, dans le cadre de la guerre interdépartementale qui se joue pour la place de département le moins criminogène de France…

Tom Doniphon