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Les lectures de Clara Halbschatten

Revues

- La querelle des méthodes, in Sciences Humaines n° 35, 1994, 35 F.

Le mensuel Sciences Humaines consacre sa livraison de janvier aux méthodes en sciences de l’homme et de la société. Dossier copieux d’une vingtaine de pages dont le fil conducteur est l’opposition traditionnelle entre deux méthodes : l’approche "positiviste" qui fait généralement appel à l’outil statistique, et l’approche "qualitative". Des articles consacrés à la psychologie, la sociologie, l’histoire, la statistique... montrent concrètement le caractère sommaire de cette opposition qui recouvre en fait une grande diversité d’objectifs et de démarches. L’article sur la statistique, joliment titré "des chiffres et des êtres", est illustré par un texte de Pierre Desproges que nous ne pouvons manquer de reproduire ici.

"Les statistiques sont irréfutables - c’est en février que les hommes s’entretuent le moins dans le monde ; moins de tueries guerrières, moins de rixes crapuleuses, moins d’agressions nocturnes dans les rues sombres du XVIIIe, où l’insécurité est telle habituellement que les Arabes n’osent même plus sortir le soir. Jusqu’au nombre des cambriolages qui diminue de 6% en février. Et tout ça, pourquoi ?

Après les enquêtes statistiques les plus poussées, les sociologues sont parvenus à cette incroyable conclusion : si les hommes font moins de conneries en février, c’est parce qu’ils n’ont que 28 jours" (Chroniques de la haine ordinaire, Éditions du Seuil, Point virgule, 1987, p. 9-10).
 
 

Ouvrages

- José ROSE, Le hasard au quotidien, Éditions du Seuil, coll., points sciences, 217 p.

"Destiné aux utilisateurs de chiffres, aux consommateurs de sondages, aux citoyens avisés, aux lecteurs curieux" (l’auteur a vu large), cet ouvrage se propose de vous apprendre, si besoin est, à fréquenter le hasard, à en connaître les effets et les limites. Dans une première partie, il est question d’idées reçues sur le hasard, d’intuitions erronées, de principes mal appliqués, cet inventaire s’achevant tristement, sur "l’illusion de la fortune acquise par hasard" !

La deuxième partie est consacrée aux sondages. Vous aurez la chance d’y trouver une sorte de "mémento de l’utilisateur" indispensable en ces temps de "sondomanie" (sondomagie, sondocratie). L’auteur décrit ensuite le champ d’applications des probabilités, certains développements sur les jeux de hasard tombant éventuellement dans la banalité. Ces trois premières parties peuvent être lues par chacun d’entre vous, quel que soit votre bagage (sic) en mathématiques (certains, parmi nous auraient-ils besoin de roulettes ?).

La dernière partie est de lecture moins aisée ; elle fournit un condensé, peu formalisé, de la théorie des probabilités. En cas de force majeure, allez directe-ment à la case "épilogue". Et puis pour ce qui est des jeux de hasard, lisez - ou relisez - "Le joueur" de Dostoievsky !
 

- Hubert Prolongeau, Sans domicile fixe, Hachette, Collection Pluriel, 222 pages.

Dans le numéro 2 de Pénombre, on avait mis en évidence la grande variété des "dénombrements" concernant les SDF, des plus vagues... aux plus sophistiqués. Ainsi, d’après le journal Le Monde du 23/11/93, il y avait, en Ile-de-France, 40 000 sans abris dont 15 000 femmes de quinze à vingt-cinq ans. Le Monde revient sur cette question, le 21/01/94. Cette fois-ci, il donne l’estimation suivante : 15 000 femmes SDF dont la moitié ont moins de 25 ans, soit 7 500 !

Hubert Prolongeau, journaliste qui a partagé, pendant quatre mois de l’hiver 1993, la vie des sans abris parisiens, semble surtout avoir rencontré des hommes ! Mais il a beaucoup vu et la lecture de son récit, chronique de l’existence quotidienne de ceux que notre société semble refouler est très éclairante. Prolongeau nous permet aussi d’en savoir un peu plus sur l’origine des chiffres cités ici et là, cet hiver.

"Migrants hostiles à tout contrôle, ils sont très difficiles à chiffrer, et les seuls outils concrets pour le faire sont les estimations des services sociaux, qui ne voient pas tout le monde. Dans son rapport remis en 1987 au Conseil économique et social (Grande pauvreté et précarité économique et sociale), le père Joseph Wresinski en recensait 400 000, chiffre repris par l’Abbé Pierre qui estimait de son côté à 2,5 millions le nombre de personnes mal logées. En décembre 1992, la SCIC (Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts et consignations) révisait ce chiffre à la baisse, à la lumière d’une étude faite par le BIPE (Bureau d’informations et de prévisions économiques). D’après elle, il y aurait 202 000 "exclus du logement, en France (...). parmi eux, 98 000 personnes sont à la rue, 45 000 sont des squatters, habitant de façon précaire et temporaire des abris de fortune (...) et 59 000 sont des habitués des centres d’urgence. La région parisienne est de loin la première à les accueillir (sic) avec 35 100 personnes (16 500 à la rue, 7 700 squatters et 10 900 hébergés en centre d’urgence)".

Connaissant les sources, on souhaiterait en savoir plus sur les méthodes d’estimation utilisées. À suivre... En attendant, vous pouvez lire l’ouvrage d’Hubert Prolongeau.

Clara Halbschatten

 
Pénombre, Mars 1994