--

Lu pour vous

À propos du livre de Claude Got
Risquer sa peau : avec l’amiante, le tabac, les vaches folles,
le sang, la pollution, la suralimentation, la sédentarité…,
Paris, Bayard, 2001.

Il avait raison. C’est folie
De compter sur dix ans de vie.
Soyons bien buvants, bien mangeants,
Nous devons à la mort de trois l’un en dix ans.

Jean de La Fontaine, Le Charlatan
 

Les téléspectateurs qui trouvent du plaisir à d’autres émissions qu’à " Qui veut gagner des millions ? " et autres " Loft stories " n’ont pas pu échapper à Claude Got, ce professeur de médecine, à la tenue décontractée mais aux propos incisifs, spécialiste de la sécurité routière. Pour ceux que son discours ne laisse pas indifférents (j’en suis) et qui aimeraient aller au fond des choses (ce pourquoi la télé n’est guère faite), voilà un livre bienvenu.

À propos de la sécurité routière, le Pénombrien toujours à l’affût des sophismes, en particulier de ceux qui concernent la vitesse (cf. Lettre blanche, n° 12, mars 1997, Trop vite dit) appréciera la mise à mal par l’auteur d’une publicité récente, particulièrement vicieuse, qui associe la sécurité à la puissance du moteur au motif qu’une forte cylindrée rendrait les dépassements plus sûrs. Claude Got rappelle que forte puissance et excès de vitesse sont liés. En effet, les études montrent que les conducteurs de voitures rapides ont plus d’accidents que ceux de véhicules lents : " l’incapacité de la 2CV à dépasser, qui était bien connue de ses conducteurs, était largement compensée par la sécurité apportée par sa lenteur. " Il sera aussi également intéressé, interpellé dans le jargon actuel, par la proposition de l’auteur d’un " droit de réponse scientifique ", à ce type d’affirmations pseudo-scientifiques et dangereuses, et aux publicités de produits dont l’efficacité n’est pas prouvée, comme celle, martelée à longueur de soirées d’hiver, pour un médicament homéopathique contre la grippe, qui risque de dissuader les personnes âgées de se faire vacciner et donc de courir un risque grave de décéder bêtement.

 

Cigarettes et whisky

Ceux qui ont vu ou entendu Claude Got, savent qu’il ne se contente pas d’être un expert de la sécurité routière, mais qu’il propose des mesures radicales pour l’assurer, par exemple de brider les moteurs pour empêcher de dépasser la vitesse autorisée, ce qui le fait sûrement passer pour une sorte d’ayatollah aux yeux de plus d’un accroc du volant. Or le livre nous révèle un combattant du risque plein de nuances et amoureux des plaisirs de la vie, comme le montre par exemple sa position face au tabac et à l’alcool, deux drogues légales très dangereuses, puisqu’elles conduisent chacune à plusieurs dizaines de milliers de morts par an. Claude Got affirme qu’il faut " essayer de se débarrasser " du tabac, mais ne préconise pas l’abstention de l’alcool " que l’on peut aimer, en s’en méfiant ". Pourquoi cette différence d’appréciation ? Parce que le tabac induit une dépendance, qui fait que les fumeurs sont presque inévitablement de gros fumeurs, et que l’usage de cette substance est toujours nocif, même pour l’entourage, alors que la grande majorité des buveurs d’alcool ne sont pas alcooliques et que cette consommation ne nuit pas à leur santé.

Une des parties les plus intéressantes du livre est celle qui montre la disparité entre la gravité des divers risques que nous courons et l’émotion qu’ils suscitent ou les moyens mis à les éviter. Cela est particulièrement vrai pour les décès liés à la consommation. L’absorption excessive d’alcools et de graisses et la consommation de tabac génère dans notre pays environ 150 000 morts prématurées par an, contre quelque 150 dues à la mauvaise qualité des produits. Or la population est surtout, pour ne pas dire exclusivement, sensibilisée à ces derniers et exige de la puissance publique des moyens extraordinaires pour les éviter, alors qu’elle ignore souvent les précédents, qui dépendent simplement de son comportement. La mal-bouffe n’est pas là où la situe ceux qui popularisent ce concept.

Le livre aborde évidemment la question de la législation sur la publicité et la vente de ces substances. À cet égard, Claude Got se désole que la loi Évin de 1991 connaisse des retours en arrière et soit mal appliquée, du fait de la pression des lobbies de producteurs et vendeurs. Ceci m’amène à poser une question, qui mériterait peut-être tout un livre : peut-on légitimement édicter des lois qui lèsent des secteurs de l’économie sans prévoir des compensations pour ces secteurs, et au-delà de ce problème de justice, une telle politique a-t-elle une chance de réussite si elle ne tient pas compte des intérêts de ces secteurs ?

Alfred Dittgen


 
Pénombre, Octobre 2001