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Moins d’ouvriers,... mais plus de prolétaires

En juillet 2001, l’Insee a rendu compte de quelques résultats du recensement de 1999, en particulier de la modification de la composition socio-professionnelle de la population1. Il en ressort, entre autres choses, que les ouvriers, catégorie généralement considérée comme à la dernière place dans l’échelle sociale, qui étaient jusque-là majoritaires, sont dépassés en nombre par la catégorie considérée comme immédiatement au-dessus, celle des employés.

Plus précisément, le nombre des premiers, qui était de 6,6 millions au recensement de 1990, est tombé à 5,9 en 1999, alors que celui des seconds a connu une évolution presque exactement inverse, passant de 5,9 millions à 6,7. Ce déclassement des ouvriers par les employés a été largement repris dans les titres et sous-titres de la presse, ce qui tend à faire croire au lecteur lambda qu’il y a eu diminution des opérateurs manuels, aux tâches répétitives et salissantes, au profit des gratte-papier, tranquillement occupés à des tâches nobles ; dans le langage plus imagé des anglo-saxons : une diminution des blue colars au profit des white colars.

Mais, dans la nomenclature des professions et catégories socio-professionnelles (PCS) de l’Insee, les employés représentent une catégorie très composite. Elle comporte, certes, les bureaucrates, dont chacun est persuadé qu’ils sont payés à attendre que le temps passe, à savoir, les employés de la fonction publique, qui ont crû de 16 %, et les employés administratifs d’entreprise, qui ont diminué de 9 %. Mais elle inclut aussi les employés de commerce, en particulier les caissières de supermarché, qui ont augmenté de 18 %, dont les cadences ne sont guère moins infernales que celles des ouvrières d’usine, et les " personnels directs de service aux particuliers " (hôtellerie, restauration…), dont la très forte croissance, 45 %, est le principal responsable de cette première place des employés.
 

Or, ces personnels de service sont constitués en grande partie de personnes chargées du nettoyage, lequel n’est généralement pas considéré comme une tâche noble. Leur inclusion dans le groupe des employés est encore plus surprenante quand on voit que ne font partie de ce groupe que les personnes qui nettoient les écoles, les hôpitaux et les hôtels et restaurants ou travaillent chez les particuliers, et que les autres, celles qui nettoient les rues, les usines, les bureaux et les bâtiments, font partie des ouvriers !

De son côté, la catégorie des ouvriers est également très complexe. Elle comprend, outre ce second groupe de nettoyeurs, les chauffeurs, de taxis de camions et de bus. Sans compter qu’elle va, en ce qui concerne, les "vrais ouvriers", du manœuvre au… peintre d’icônes.

 
Cette séparation très artificielle entre les deux catégories est bien illustrée par le fait suivant pêché dans un reportage de l’émission de M6 " Zone interdite " consacrée à la reconversion des ouvriers d’une usine de chaussures (à Romans) après sa fermeture. On y voit, parmi les reconvertis, deux dames, ex-OS, à présent femmes de ménage dans un hôtel. Si on suit la PCS de l’Insee, il y a là une promotion sociale, puisqu’elles sont passées de la catégorie des ouvriers à celle des employés. Sauf qu’elles sont maintenant payées au Smic, alors que dans leur emploi antérieur leur salaire était plus élevé du fait de leur ancienneté et de leur expérience…

Bref, les employés ont détrôné les ouvriers, mais on ne peut pas dire pour autant que la société a quitté le triste monde de Germinal de Zola pour celui plus gai de Messieurs les ronds-de-cuir de Courteline.

Alfred Dittgen
 

1 Thomas AMOSSE, Recensement de la population de 1999 : L’espace des métiers de 1990 à 1999, Insee Première, no 790, juillet 2001.

 
 
Pénombre, Janvier 2002