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Musclor toujours là

DANS LE CONTEXTE pré-électoral actuel, quelle que soit la critique émise à l’égard de la politique sécuritaire du gouvernement, l’un de ses membres ou porte-parole se doit de rappeler les « succès » obtenus depuis 2002. Depuis quelques mois, le chiffre « moins 17 % » fait office de réponse à tout et n’a besoin, si nécessaire, que du complément « alors qu’auparavant, avec le gouvernement socialiste, la délinquance augmentait fortement ». Quelques journalistes ont acquis le réflexe de tempérer cette affirmation en rappelant que la baisse n’est pas avérée dans tous les secteurs de la délinquance. Du côté du Parti socialiste, on entend principalement sinon uniquement l’affirmation selon laquelle la politique menée depuis 2002 serait un échec puisque la violence n’a pas cessé d’augmenter depuis. De part et d’autre, on se base uniquement sur la statistique de police pour étayer ces affirmations. Le développement de l’Observatoire national de la délinquance n’a pas suffi pour remettre en cause cette pratique (voir Lettre blanche n°52). Ni celle qui consiste à choisir le mode de présentation de la statistique de police qui conforte le mieux une position politique.

Clarifions

L’évolution du total des faits « constatés » par les services de police recouvre maintenant des tendances opposées selon la nature de ces faits. Globalement, les vols de toutes sortes (mais sans violence) sont en diminution. L’inversion majeure de tendance a eu lieu au milieu des années 1990 (et non pas en 2002) et concerne principalement les vols liés aux véhicules et les cambriolages. Leur diminution est le plus souvent attribuée aux mesures de protection privée prises par les victimes potentielles et les enquêtes de victimation confirment la tendance. Comme ces vols représentaient alors la plus grosse partie du total de la délinquance enregistrée par la police, ils lui ont imprimé leur profil. Les vols sur les personnes avec ou sans violence ont continué de croître jusqu’au milieu des années 2000. Parmi eux, mais non isolés dans la nomenclature statistique, figurent les vols de téléphones portables et autres objets technologiques convoités. La très large diffusion commerciale et la baisse du coût d’achat de ces biens ont pu mettre fin par eux-mêmes à la croissance de leur acquisition frauduleuse1 sans que l’on puisse y voir un effet quelconque de la politique du gouvernement en matière d’insécurité.

Les faits constatés et comptabilisés dans les rubriques statistiques dénotant une forme ou une autre de violence sont à l’inverse en constante augmentation depuis le milieu des années 1980. La poursuite de cette croissance après 2002 ne peut cependant pas être lue comme un échec des politiques menées dans ces domaines. Qu’il s’agisse des violences conjugales, des agressions sexuelles, des violences scolaires, des infractions à l’égard des personnes dépositaires de l’autorité publique, des destructions de biens par moyens dangereux (incendies principalement), tout concourt à leur augmentation statistique, même si les faits commis ne connaissent pas d’évolution majeure. Les victimes sont incitées à saisir plus souvent la police, les modifications législatives élargissent le périmètre des infractions comptabilisées, les différents niveaux du système pénal sont invités à des « réponses » et des poursuites plus systématiques. Dans ces conditions, il ne serait pas cohérent d’attendre une baisse des faits dénombrés par la police. Dire que « en réalité » la hausse de la violence n’existe pas n’est pas forcément de meilleure méthode. Les enquêtes de victimation, qui apportent alors un complément indispensable aux statistiques officielles, sont elles-mêmes influencées à l’évidence par un mouvement général qui abaisse le seuil de sensibilité aux agressions et comportements violents. Ce que les enquêtés déclarent sous la rubrique des agressions de toutes sortes est bien en augmentation, mais il devient difficile d’apprécier objectivement la gravité de ces agressions, si tant est que l’objectivité puisse avoir un sens en l’occurrence. Même avec cette nouvelle source indispensable pour évaluer les politiques de sécurité, il reste bien des zones d’ombre.

Ce qui devrait être admis par tout le monde est cependant assez clair : il n’y a pas de sens à parler globalement de baisse de la délinquance d’une part, et, d’autre part, si l’année 2002 est bien marquée par un tournant majeur de la politique pénale gouvernementale, ce n’est pas un point de retournement majeur pour les indicateurs chiffrés disponibles en matière de mesure des délinquances.

B. A. de C.

 
1 Les résultats les plus récents semblent indiquer une reprise avec l’engouement pour les « smartphones ».

 
Pénombre, Janvier 2011