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Numéro 13

À Pénombre, nous ne craignons pas d’utiliser la page 13, sauf pour les textes de Clara H., qui a cette phobie ; ses raisons figurent peut-être parmi celles données par A. Kuhn.
 

A l’occasion de la parution de ce treizième numéro de Pénombre, je vais essayer d’élucider l’énigme toute de mystique et de superstition qui entoure le chiffre 13 et d’expliquer pourquoi on lui attache si souvent des caractéristiques presque magiques. Parfois porte-bonheur, souvent porte-malheur, il laisse rarement indifférent. L’esprit logique et scientifique des éditeurs et des lecteurs de Pénombre fait évidemment du présent numéro un numéro comme les autres. Pas question de passer au numéro 14 sans avoir édité le 13. Toutefois, même les plus rationnels d’entre nous ne sont pas épargnés par les superstitions entourant le chiffre 13. Pourquoi les tables de multiplications que nous avons apprises à l’école s’arrêtent-elles à 12x12 ? Qui a déjà pu effectuer un voyage au treizième rang d’un avion ? Qui a déjà eu l’occasion de passer la nuit au treizième étage ou dans la chambre numéro treize d’un hôtel ? Tout me laisse penser que rares sont ceux qui peuvent se prévaloir de tels exploits ! En effet, la plupart des compagnies aériennes n’ont pas de rangée 13 et la plupart des hôtels - comme d’ailleurs une majorité des immeubles modernes aux États-Unis - n’ont pas d’étage ou de chambre numéro 13, le quatorze suivant directement le douze. Cela ne signifie bien entendu pas qu’il n’y a pas de treizième. Tous les immeubles de plus de douze étages et tous les avions de plus de douze rangs en possèdent logiquement un treizième, mais celui-ci porte souvent un faux numéro et est généralement rebaptisé « quatorzième ». Ce simple changement de nom semble étrangement suffire à faire disparaître toutes les craintes que peut faire naître le chiffre 13. Mais d’où viennent donc ces appréhensions totalement irrationnelles ?

Ci-après, j’exposerai brièvement les principales particularités mathématiques et numérologiques qui pourraient expliquer la fascination entourant le nombre 13, avant de tenter de trouver des explications historiques et religieuses à ce phénomène.

 

Du point de vue mathématique

Tout d’abord il est à remarquer que 13 est un nombre premier, à savoir un nombre qui n’admet comme diviseur que 1 et lui-même. Toute l’arithmétique est basée sur ces nombres, puisque tout nombre entier peut s’écrire comme le produit de nombres premiers.

Le nombre 13 jouit en outre de curieuses propriétés :

  • le carré de son symétrique est le symétrique de son carré : 312 = 961 et 132 = 169 ;
  • la somme des chiffres de son carré est égale au carré de la somme de ses chiffres : 1+6+9 = 16 et (1+3)2 = 16.

 

Du point de vue numérologique

La numérologie se veut la science des nombres et serait vieille de plus de 5000 ans. Elle se base sur une correspondance symbolique entre les lettres et les nombres, A correspondant à 1, B à 2 et ainsi de suite jusqu’à Z = 26. Les correspondances numériques sont ensuite additionnées selon le principe de l’addition théosophique. Par exemple 26 donnera 2 + 6 = 8 et André (sachant que é = 1) deviendra 1 + 14 + 4 + 18 + l = 38 = 11 = 2.

Il a ensuite été décrété que le 4 et le 9 sont les nombres les plus difficiles à porter, le premier étant synonyme de problèmes (les mots « quatre » et « mort » se prononcent d’ailleurs tous deux « chi » en japonais) et le second de fin de cycle. A titre de « démonstration » on cite souvent l’Exxon Valdèz (=4), l’Amoco Cadiz (=9), le Titanic (=4), le Zeppelin (=4), ainsi que la navette spatiale Challenger (=4).

C’est ainsi que le nombre du diable (également appelé « nombre de la Bête » et sur lequel je reviendrai dans le numéro correspondant de Pénombre), soit 666, devient 9 et le chiffre 13 donne 4.

Vous n’êtes pas convaincus ? Alors passons à des tentatives d’explications historiques et religieuses.

 

Du point de vue historique

Tous les six ans, les Chaldéens ajoutaient un treizième mois afin de compenser le retard dans la façon de calculer le temps calendaire par rapport au temps solaire. Ce treizième mois était tellement redouté et néfaste que même les guerres devaient s’arrêter durant cette période.

Pour les Manichéens, le treizième jour du printemps portait malheur à ceux qui restaient chez eux. Ce jour-là, tous les habitants délaissaient leurs demeures dès l’aurore pour ne rentrer qu’au crépuscule.

Les calendriers mayas et aztèques comportaient vingt mois à treize jours. De plus, chaque signe du zodiaque revenait tous les treize ans. Le nombre 13 était en outre considéré comme un signe de malchance, puisque Mu - la Mère-Patrie de toute Humanité - avait été détruite un vendredi, treizième jour du mois Zac (le mois blanc).

Lors de leur constitution, les États-Unis d’Amérique comportaient treize États (Caroline du Nord, Caroline du Sud, Connecticut, Delaware, Géorgie, Maryland, Massachussetts, New Hampshire, New Jersey, New York, Pennsylvanie, Rhode Island et Virginie). Le drapeau américain comportait donc treize étoiles et treize bandes.

Une ancienne coutume campagnarde européenne veut que les oeufs se vendent par treize pour une douzaine (« treize à la douzaine »), sans doute pour conjurer quelque sort.

 

Du point de vue religieux

Dans les religions chrétiennes, le nombre 13 apparaît à plusieurs reprises, en commençant par la naissance du Sauveur, qui se manifeste aux mages treize jours plus tard par l’apparition d’une étoile. Mais le chiffre 13 est véritablement devenu un symbole de superstition à la suite d’une interprétation de la Sainte Cène où Jésus avait réuni les douze Apôtres autour de lui, la treizième personne, Judas, étant le traître dont le forfait conduira Jésus à la mort par crucifixion.

Il est par ailleurs paradoxal de constater qu’en Italie et au Vatican, siège du Catholicisme , la superstition dominante est liée au chiffre 17 et non au 13. J’y reviendrai dans le numéro 17 de Pénombre.

Dans le judaïsme, un treizième mois est ajouté aux douze existant habituellement sept fois en dix-neuf ans, selon un cycle particulier de la lune appelé cycle de Méton (du nom d’un astronome athénien du cinquième siècle). Les années à treize mois sont alors appelées embolismiques. De plus, Maïmonide (1135-1204), Catalan juif cherchant à concilier la foi et la raison, émit treize articles de foi qui résument les croyances essentielles du judaïsme.

Le calendrier orthodoxe est l’ancien calendrier julien. Il est aujourd’hui encore suivi par les Russes, les Grecs et les Turcs. Ce calendrier possède un retard de treize jours sur le calendrier romain ou grégorien. Les causes de ce retard sont d’une part une divergence de trois jours sur la date de naissance de Jésus-Christ et d’autre part, le refus d’admettre l’ajustement de dix jours du calendrier grégorien par le Pape Grégoire XIII le 5 octobre 1582 (devenant le 15 octobre 1582), ajustement effectué pour rattraper le retard du temps calendaire par rapport à la position effective de l’équinoxe du printemps.

Dans certaines « sciences » occultes (telle la cabale), Mem, la treizième lettre de l’alphabet hébreux, s’apparente à la mort. Il en va de même du tarot, où le treizième arcane représente un squelette en train de faucher.

 

Vendredi 13

Selon diverses sources, il paraîtrait que c’est un vendredi 13 qu’Ève tenta Adam avec la pomme, que Caïn tua Abel, que l’Arche de Noé fut lancée sur les flots, qu’Hérode massacra les innocents, que le Christ mourut sur la croix, que Mu (la Mère-Patrie de l’Humanité) fut détruite, etc. Mais la véritable origine de la superstition semble plutôt venir d’une légende nordique. Vendredi était le nom de Frigga, la déesse de l’amour et de la fertilité. Lorsque les tribus nordiques et germaniques se convertissent au Christianisme, Frigga est bannie, envoyée au sommet d’une montagne et considérée comme une sorcière. Depuis, chaque vendredi, la déesse pleine de rancune convoquerait onze sorcières et le diable (ils sont donc treize !) pour comploter de mauvais tours à jouer au cours de la semaine suivante. Reste que, dans l’Antiquité, le vendredi était un jour consacré à la déesse de l’amour, qu’elle s’appelle Aphrodite, Vénus ou Frigga. Ce jour était donc considéré comme le plus gai de la semaine. Par ailleurs, aujourd’hui encore, le vendredi semble être un jour de chance pour certains peuples et communautés religieuses.

 

Conclusion

Si vous avez eu l’audace de prendre en main ce numéro de Pénombre malgré le fait qu’il porte le numéro 13, prenez garde à ne pas tomber à la renverse en lisant mes « bêtises » ! Ce serait malchanceux…

Si, comme Apollo 13, Pénombre 13 n’arrive pas à destination et ne vous est pas livré, n’en veuillez surtout pas à l’éditeur ou à la poste. Ils n’y sont pour rien ! Vous trouverez certainement dans ce petit article une explication bien plus satisfaisante…
 

P.S. 1 : À titre de rappel, une importante explosion à bord de la fusée Apollo 13 avait obligé la NASA à renoncer au but de la mission spatiale (l’alunissage) et le retour sain et sauf de l’équipage avait été considéré comme un exploit. Apollo 13 avait décollé à 13 heures et 13 minutes (Central Standard Time) le ll avril 1970… Le 11.4.70… 1 + 1 + 4 + 7 + 0 = 13…

P.S. 2 : À ce jour, le plus grand événement dans ma vie a été la naissance de mon fils le 13 septembre 1995 ! Et oui… un 13.9… 1 + 3 + 9 = 13… On n’en sortira pas…

P.S. 3 : Même le cinéaste Alfred Hitchcock n’aimait pas le nombre treize. Pour preuve, son film « Number thirteen » (1922) restera à jamais un inachevé, puisque - selon ses propres dires - le scénario n’était pas suffisamment bon.

 

André Kuhn

 

Références

Endres, Franz Carl, Mystik und Magie der Zahlen, Zurich : Rascher, 1951

Le Lionnais, François, Les nombres remarquables, Paris : Hermann, 1983

Nimosus, Christiama, Étude sur des Nombres occultes, Paris : Trédaniel, 1985

Internet :

http://hitchcock.alienor.fr/number_13.html

 

Pénombre, juin 1997