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Optima ratio

Le ministère des Finances (AFP, 20 septembre 1999) annonce pour 2000 une baisse de "la part des dépenses publiques dans la richesse nationale" : passant de 54% du PIB en 1999 à 53,2% l’an prochain. Et, le même ministère avait annoncé à Bruxelles que cette part pourrait tomber à 51,5 ou même 50,6% en 2002, selon ce que serait d’ici là, la croissance économique.

Avant de devenir une des vertus cardinales de la "convergence" européenne (les fameux critères de Maastricht), ce pourcentage était pris pour juger de la qualité de la politique économique invoquée régulièrement par les hommes politiques et dûment travaillé par les experts.

Fort bien ! Cela étant, moi qui ne suis qu’un citoyen à peine frotté d’économie, j’aimerais y voir un peu plus clair dans ce que veut dire ce chiffre et quant à l’objectif de le maintenir au-dessous d’un certain seuil.

D’abord, je ne suis pas très heureux de l’appellation "dépenses publiques". Dépense excessive fait tout de suite penser à gâchis. Or, les dépenses en cause sont au moins de deux sortes bien différentes. D’un côté, il y a ce que les administrations de l’Etat et des collectivités locales dépensent pour acheter des matériels et fournitures et payer des fonctionnaires (aussi, pour subventionner des initiatives ou des activités privées). De l’autre côté, il y a les débours du système de protection sociale pour payer diverses prestations (maladie, retraites, etc.) qui sont le financement par un canal public de dépenses privées.

Ces deux types de dépenses étant très différents, on ne peut juger leur total suffisant ou excessif sans se poser d’abord la question sur chacun séparément. Dans les deux cas, il s’agit d’un choix de société, comme on dit. Est-ce que le corps social est d’accord pour acheter globalement, par l’impôt, une prestation administrative (multiforme et en partie "indivisible" : sécurité, salubrité, infrastructures, etc.) ? Est-ce que le corps social est d’accord pour faire transiter certaines dépenses des consommateurs par des caisses de mutualisation ? Et, dans chaque cas, quelle extension lui semble souhaitable ?

Tant qu’on n’aura pas répondu à ces deux questions, je me demande bien au nom de quoi 54% serait beaucoup ou pas beaucoup.

Deuxièmement, l’évolution de ce pourcentage semble soumise non pas à une décision politique, mais au fait qu’il y a plus ou moins de croissance. Donc, on va s’inquiéter ou se réjouir d’un résultat alors que les causes nous échappent. Ou, du moins, si nous avons pu faire quelque chose pour la croissance, c’était avec celle-ci comme but ; non pas simplement afin de réduire ce mythique pourcentage.

Or, ici, nous avons un autre critère pour juger de ce niveau de "dépenses publiques" non pas sa valeur plus ou moins élevée, mais sa variation en fonction de la conjoncture économique. J’ai souvenir qu’un certain Keynes (John Maynard pour les intimes), et quelques autres à sa suite, proposait que l’Etat fasse des dépenses pour stimuler l’économie lorsqu’elle est atone. En fait, il faudrait regarder le déficit du budget autant que le seul volet des dépenses. Vu comme ça, tant que la croissance n’était pas brillante, il aurait fallu se féliciter que notre fameux pourcentage soit élevé ; et maintenant, puisqu’il y a reprise, simplement trouver normal qu’il redescende. Sans en faire ni un objectif ni un sujet de fierté.

Ou alors, ces approximations "keynésiennes" sont soit inexactes de ma part soit passées de mode chez les experts. Je le veux bien. Mais, puisqu’il s’agit d’expliquer au peuple (je crois que c’est à ça que servent les journaux), nous aurions besoin d’un peu plus : plus que de nous entendre dire que ledit pourcentage est excessif et qu’on est heureux qu’il baisse. Voire même, de se targuer de le faire baisser. Je suis prêt à être d’accord ; mais j’ai l’impression qu’on me snobe.

Jean-Pierre Haug

 
Pénombre, Décembre 1999