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Palmarès

Après la parution récente d’un palmarès des universités, la rédaction a reçu ces deux textes. L’occasion de rappeler l’existence d’un groupe de travail de Pénombre sur la notation et les classements (groupe relation d’ordre ).
D’autres textes moins liés à l’actualité y seraient en préparation.

 

Et encore un ! Dans la série palmarès et autres top 50, saluons la publication par Le Point, début avril, d’un classement des universités françaises. On avait celui des lycées, qui revient chaque printemps comme les hirondelles et auquel Pénombre s’est naguère intéressé (cf. Lettre grise n° 4). Puis, celui des hôpitaux, auquel il y avait beaucoup à redire, publié en fanfare par Sciences et Avenir en 1997 et à nouveau depuis avant que le Figaro-Magazine prenne le relais. Voici donc celui des universités.

Sûrement, cela répond-il à un appétit de nos contemporains. Popularité des hommes politiques, performances des machines à laver, florilège des plus grosses fortunes, classement des villes où il fait bon vivre, concours des nations à qui aura le plus de médailles olympiques... On en demande et on en redemande.

À notre tour, nous n’établirons pas un classement des journaux les plus (ou les moins) sérieux. Disons cependant que ce que nous présente Le Point est plutôt moins scabreux que le palmarès des hôpitaux. Pour celui-ci, on avait isolé quelques pathologies et tiré quelques chiffres du PMSI, qui n’est pas fait pour ça. Les hôpitaux étaient classés selon leur performance, notablement en fonction du nombre de décès : jouant souvent sur un nombre de cas très réduit (fort heureusement !) au mépris de toute signification statistique.

Le Point, lui, a fait une vraie enquête, auprès des universités, relevant le nombre d’étudiants inscrits et celui d’étudiants reçus aux examens (d’où un taux de réussite), à trois stades du cursus et par catégories de disciplines. Le champ couvert est quasi complet ; la méthode est expliquée ; les refus de réponse sont peu nombreux ; les chiffres sont corrects. Ce qui est nettement plus contestable, en revanche, c’est l’interprétation des taux de réussite publiés. Contestable, donc, l’intérêt de l’article.

 

correctifs

Revenons aux classiques : les lycées. Pendant longtemps, des journaux avaient publié des taux de réussite au bac. Sans tenir compte d’une sélection à l’entrée des établissements. Louis-le-Grand avait des taux remarquables. Mais, pour être admis dans ce lycée prestigieux, il fallait avoir au départ un dossier en béton. La réussite presque assurée au bac était-elle due à la qualité de l’enseignement ou à l’excellence propre des élèves ? Dans ces conditions, comparer la performance de deux lycées avait-il un sens ? Pour améliorer les termes de la comparaison, la direction de l’évaluation (au ministère de l’Éducation nationale) avait établi des indicateurs plus significatifs : d’une part en complétant les taux de succès au bac par la mesure de la sélection en cours de scolarité ; d’autre part, en prenant en compte le recrutement de chaque lycée selon l’âge des élèves et la profession des parents. D’où, une notion de valeur ajoutée : on calculait ce que serait le taux de réussite si le lycée considéré avait eu le recrutement moyen. On éliminait ainsi, autant que possible, le fait qu’il avait choisi ses élèves ou au contraire pris ceux dont les autres ne voulaient pas. Ce n’était pas parfait ; mais c’était déjà un correctif appréciable, permettant de ne pas dire trop de bêtises. Depuis lors, les journaux reprennent fidèlement ces estimations plus dépurées que des taux bruts.

Or, c’est ce que le Point n’a pas fait pour les universités. Se pourrait-il que certaines exigent à l’entrée, par exemple, une mention au bac (bien ou très bien de préférence). Si vous êtes passable, vous trouverez une place ailleurs. En principe, ce n’est pas permis. Mais, il y a plusieurs années, cela se faisait, au moins dans certaines. Aujourd’hui, le système d’inscription informatisé Ravel est plus rigide et les arrangements sont donc nettement moins faciles. Nous avons essayé de savoir : diverses personnes interrogées, dans les milieux de l’Éducation, nous ont confirmé cette interdiction de principe. Plusieurs, toutefois, ajoutaient " mais... ". On ne sait rien de sûr. Il y aurait un doute. Tant qu’il n’est pas levé, on peut s’interroger sur la signification d’un taux de réussite. Pure spéculation, bien sûr.

La mention au bac ne détermine certes pas totalement le futur de l’étudiant. C’est malgré tout une présomption, une prédisposition. De plus, on peut penser que ceux qui demandent (et obtiennent) l’inscription dans une bonne université sont aussi ceux qui sont le plus motivés dans leurs études : par contraste avec les bacheliers qui ne savent pas trop ce qu’ils vont faire et qui prennent une inscription en quelque sorte pour voir (autant faire ça qu’être chômeur !), suivront mollement les cours et abandonneront peut-être en cours de route.

Par ailleurs (ce qui du reste peut biaiser les chiffres dans l’autre sens) on peut penser que les universités les plus exigeantes à l’entrée le sont aussi aux examens finaux. S’il en est ainsi, le diplôme de l’université X a objectivement plus de valeur que celui de l’université Y. Les taux de réussite ne portent plus alors sur des termes comparables. Cette valeur du diplôme attire derechef les étudiants et accentue le phénomène de sélection à l’entrée. Les bons diplômes sont alors décernés à des étudiants originellement bons. Quel est dans ces conditions le mérite propre de l’université ?

Au total, vous que voilà là, avec votre personnalité et vos talents propres, et qui voulez faire une maîtrise d’anglais, de droit ou de chimie, avez-vous vraiment deux fois plus de chance de l’obtenir si vous allez dans une université qui affiche un taux de 70 % que dans une qui affiche seulement 35 % ? N’est-ce pas pourtant là l’interprétation que le lecteur tout venant donnera aux résultats publiés par Le Point ?

René Padieu

 
Pénombre, Octobre 2001