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Pauvres, comptez-vous !

Dans une tribune du Monde du 6 septembre 2007 intitulée « Martin Hirsch ou l’art d’interpréter les statistiques », Jean de Bodman critiquait le Haut Commissaire aux solidarités actives, qui dans une tribune du 1er septembre ne se référait qu’au seul taux de pauvreté selon la définition européenne. Pour suivre ce débat quelques chiffres de l’Insee sur cette question :

Nombre de personnes pauvres (en milliers)

Nombre de personnes pauvres en milliers
  seuil à 60% seuil à 50%
2002 6 976 3 431
2003 7 015 3 694
2004 6 867 3 635
2005 7 136 3 733

« Martin Hirsch ou l’art d’interpréter les statistiques » me paraît un titre bien sévère au vu du contenu de l’article qu’il annonce : la critique n’est pas convaincante et peu rigoureuse. Martin Hirsch y est accusé de changer d’indice pour mesurer la pauvreté. Pourtant les deux évolutions (celles du nombre de personnes dont le revenu est en dessous de 50 % ou de 60 % du revenu médian), même si elles sont effectivement difficilement comparables telles quelles, sont l’une et l’autre révélatrices d’une aggravation de la situation, ce qui est bien le fond du discours de Martin Hirsch.

La question n’est pas de savoir lequel des deux indices présentés (nombre de personnes ayant moins de 50 % ou de 60 % du revenu médian) mesure le mieux le nombre de pauvres et donc quel est celui dont l’évolution représente le mieux le phénomène analysé. Le nombre de pauvres, calculé d’une façon ou d’une autre, est issu d’une convention arbitraire. L’utilisation conjointe des deux indices donne un aperçu de l’évolution de la distribution des revenus par rapport au revenu médian, plus informante que l’examen de chacun séparément. Un seul indicateur est impuissant à synthétiser un phénomène aussi complexe que la pauvreté.

Si on regarde de près les chiffres présentés dans l’article, on comprend que entre 2002 et 2003, même si le nombre de pauvres, au sens de la statistique européenne (ceux qui gagnent moins de 60 % du revenu médian) a peu augmenté (+40 000), les pauvres sont devenus plus pauvres puisque le nombre de ceux qui gagnent moins de 50 % du revenu médian a beaucoup augmenté (+260 000), ce qui est tout de même un résultat peu brillant qu’il n’est pas injustifié de noter.

Entre 2004 et 2005 le nombre des pauvres au sens de la statistique européenne a fortement augmenté (+270 000), ce qui n’est pas non plus une bonne performance des politiques de lutte contre la pauvreté. Le fait que le nombre de pauvres ayant touché moins de 50 % du revenu médian a peu augmenté permet de voir que le revenu de ces 270 000 pauvres supplémentaires se situe principalement entre les deux valeurs (50 % et 60 % du revenu médian) mais aussi partiellement en dessous de la plus faible.

Quant à la critique reposant sur l’utilisation de chiffres déjà anciens, elle est peu fondée, puisque, comme le signale l’auteur de l’article lui-même, les chiffres de 2006 et 2007 ne seront disponibles que dans deux ans ! On se demande alors comment il s’y prend pour prédire une baisse de la pauvreté en 2007. L’affirmation selon laquelle « le chômage a fortement baissé depuis deux ans (entre 2005 et 2007) » et que « cette baisse a nécessairement eu un effet sur la pauvreté » tient du credo et non de la démonstration scientifique, d’autant plus que les chiffres du chômage sont très contestés comme l’ont montré les débats du printemps dernier, notamment ceux organisés par les syndicats de l’Insee et de la DARES le 29 mai dernier. Une des conclusions était que quelle que soit la façon de calculer le taux de chômage, ce dernier était bien impuissant à représenter à lui seul l’état du marché du travail.

Marion Selz