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« Seul m’ont laissé, les jouets par milliers »

Bientôt Noël. Les marronniers ont perdu leurs feuilles depuis un mois mais il en est qui refleurissent juste avant Noël pour alerter les consommateurs sur la dangerosité des jouets. Les médias reprennent avec gourmandise les conclusions du rapport annuel de la DGCCRF .

Penchons-nous avec intérêt sur le Bilan 2017 des contrôles sur la sécurité des jouets qui rappelle que, dans le cadre de sa mission de protection des consommateurs, « la DGCCRF réalise chaque année des contrôles afin de vérifier le respect de la réglementation européenne par les professionnels du secteur des jouets et d’identifier d’éventuels produits dangereux commercialisés en France ». Il en résulte que « sur près de 10 600 actions de contrôle, tous établissements confondus, les enquêteurs ont relevé un taux d’anomalie de 11,5 % [contre 8,2 % en 2016] ». Poursuivons la lecture : « Les enquêteurs de la DGCCRF ont prélevé 722 jouets qui ont ensuite été analysés par le Service commun des laboratoires (Laboratoires de Lille et de Marseille). 13,3 % de ces jouets ont été déclarés non-conformes et dangereux. »

Ouais. 13,3 % non conformes et dangereux, il faut y ajouter les non conformes (absence de mode d’emploi en français ou pas de marquage CE par exemple…) et les pas dangereux pour faire le total. Ceci exclut évidemment la combinaison absurde d’un jeu respectant les normes et dangereux ou, alors, ce serait la norme qui serait dangereuse et non conforme au bien public, mais on sait qu’il ne faut pas jouer avec les normes. Et pourtant, avec 13,3 % de jouets non conformes et dangereux, on ne relève que 11,5 % d’anomalies. C’est quoi, finalement, une « anomalie » ?

Pour comprendre, je n’ai rien trouvé de mieux que de m’adresser à la DGCCRF. Son service de presse s’étonne un peu de la question que je suis le seul, semble-t-il, à formuler. Après quelques minutes d’attente, on me confirme que le taux d’anomalies est calculé par rapport au nombre d’établissements contrôlés, tandis que le taux des jouets « non-conformes et dangereux » l’est par rapport aux 722 jouets analysés. Ce qui va sans dire et encore mieux en le disant. Par ailleurs, une petite note en bas de page du Bilan passée inaperçue mentionne que ces prélèvements sont réalisés par les enquêteurs de façon ciblée, sur la base d’une suspicion préalable, et que le taux de dangerosité constaté sur les prélèvements n’est donc pas représentatif du marché.

La conclusion, c’est bien que les médias ont tous repris l’information sans nuances et titré en gros caractères : « 13 % des jouets vendus sont dangereux », ce qui est alors inexact. On se retrouve plongé dans un monde de fuck news, ces machins sans queue ni tête qui troublent notre perception du réel et participent de la mésinformation des honnêtes gens.

Par ailleurs, on relève que la DGCCRF a engagé récemment une autre étude. Jouant les « clients mystères », elle a procédé à l’achat de 70 objets festifs : guirlandes électriques, jouets, peluches, panoplies de déguisement... auprès de sept plateformes de vente en ligne (Amazon, Cdiscount, Ebay, Fnac.com, Rakuten-Priceminister, Aliexpress et Wish), ces produits faisant l’objet de tests en laboratoires. La DGCCRF a publié de premiers résultats sur la base de 46 produits analysés – alors que l’étude n’était pas terminée – dont il ressort que « les trois-quarts des produits analysés étaient non conformes et que 39 % présentaient un danger pour le consommateur » (communiqué officiel signé de Mounir Mahjoubi, alors secrétaire d’État chargé du numérique).

Que croyez-vous qu’il advint ? Tout simplement, différents médias ont écrit que « 75 % des jouets vendus en ligne sont non conformes [à la réglementation] et 39 % présentent un danger pour le consommateur, », certains se référant à un échantillon de 70 et d’autres de 46. Or, le communiqué indique trois-quarts pour « trois jouets sur quatre » et non 75 %, tandis que « 39 % » de jouets dangereux est le résultat arrondi du calcul. D’ailleurs, trois-quarts d’un échantillon de 46 objets, ce ne peut être que 34 objets (73,9%), le communiqué aurait certainement indiqué 76% s’il y en avait eu 35. Heureusement, Capital a bien travaillé en écrivant le 20 décembre que, « sur les 46 objets testés, 74% d’entre eux sont non conformes », mais s’est pris les pieds dans le tapis quelques lignes plus tard : « dans le détail, 36% d’entre eux étaient non conformes et 39% présentaient même un danger », soit un total abusif de 75%.

Rien de grave au final, diront certains. Si ce n’est que l’information délivrée n’est pas conforme à celle d’origine et que les réserves du Bilan sont oubliées, alors qu’elles préviennent que les chiffres ne sont pas représentatifs du marché. L’information est malmenée, avec des variantes suivant les médias (46 ou 70 objets testés), voire avec la publication de chiffres différents comme sur France Info : « Malgré la vigilance des consommateurs et des commerçants, 41 % des jouets en France ne respectent pas les normes. Et plus de 16 % seraient même dangereux pour la sécurité et la santé. C’est le résultat d’une étude menée par la répression des fraudes (DGCCRF) sur 722 produits : jouets, peluches et déguisements. » 

Le marché français du jouet, c’était en 2016 un chiffre d’affaires de 3,4 milliards d’euros pour un total de 224 millions de jouets vendus (hors jeux vidéo). S’il y en avait près de 30 millions qui présentaient un danger (et sans doute plus aujourd’hui avec l’essor du commerce en ligne), gageons qu’on en aurait entendu parler. Sans doute a-t-on quelques raisons de se méfier des chiffres. 

Daniel Cote-Colisson