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Sous le joug

« Un matin de labour, le bœuf s’arrêta brusquement au milieu d’un sillon, sans que le maître l’eût commandé et se mit à rêver tout haut. Voilà ce qu’il disait :

- Deux robinets coulent dans un récipient cylindrique de soixante-quinze centimètres de haut, et débitent ensemble vingt-cinq décimètres cubes à la minute. Sachant que l’un des deux robinets, s’il coulait seul, mettrait trente minutes à remplir le récipient, alors que l’autre mettrait trois fois moins de temps que s’ils coulaient tous le deux à la fois, calculer le volume du récipient, son diamètre, et au bout de combien de temps il sera plein… C’est intéressant… très intéressant…

- Qu’est-ce qu’il peut bien jargonner ? dit le maître.

- Voyons… je suppose que les deux robinets soient fermés… qu’est-ce qui se passe ?

- Enfin, explique-moi donc un peu ce que tu racontes…

Mais le bœuf était si profondément absorbé par la recherche de la solution qu’il n’entendait rien et demeurait immobile en marmonnant des chiffres. […]

- Tu parais souffrant. Voyons, dis-moi ce qui ne va pas, franchement.

Alors, le bœuf, frappant la terre de son sabot, répondit avec colère :

- C’est tout de même malheureux, mais il n’y a pas moyen de réfléchir en paix une minute ! On ne s’appartient pas ! On dirait que je n’ai pas d’affaire que leur charrue ! J’en ai par dessus la tête de leur joug !

Le maître demeura interloqué à se demander si, son bœuf avait bien toute sa raison. »

 

Marcel Aymé,
Les contes du chat perché, Les bœufs

 

À vos bouliers !
envoyez-nous votre solution

 

 

 
Pénombre, octobre 1997