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Tous notables

10 en conduite, 0 en orthographe ou 18 de moyenne au bac, voilà bien des nombres qui nous sont familiers. À part la valeur du CAC 40 en temps réel et la température extérieure relevée sous abri, il y en a même peu qui nous soient aussi communs, aux plus jeunes comme aux plus anciens.

Pénombre a commencé une réflexion sur ces notes chiffrées et leurs usages dans le débat social (groupe " relation d’ordre "). Plutôt qu’un dossier, nous nous proposons de vous donner des aperçus de temps en temps, sur les trouvailles et les discussions en cours (voir les articles de René Padieu et Françoise Dixmier sur les palmarès dans le précédent numéro). L’ordre et l’importance des articles ne s’expliquent que par la fantaisie des uns et des autres.

 

On ne peut plus parler de quoi que ce soit sans évoquer au moins une évaluation, si possible "sérieuse " ou " approfondie " : telle est l’époque ! Et quand on y regarde de plus près, on constate que la plupart de ces évaluations débouchent sur des nombres, des " notes ".

 

Le code de la note

Quand des adolescentes que je connais donnent la " cote " des garçons de leur classe, c’est bien une évaluation sérieuse, n’est-ce pas ? elles ont un code ("on a 5 qualités à regarder, alors, on note sur 25 " raconte l’une d’entre elles) élaboré en commun, de façon expérimentale, et qui évolue au fur et à mesure de l’histoire ; lorsque l’une d’entre elles attribue 21 sur 25 à un garçon, toutes savent assez bien ce que cela veut dire.

Est-ce bien différent du langage des notes administratives ? Si on sait la discipline d’un enseignant, son académie, son grade et son ancienneté, alors un dixième de point en plus ou en moins par rapport à la moyenne des notes des personnels de même catégorie devient très significatif. Mais de quoi et pour qui au juste ?

On peut en dire autant du 8/20 qui peut représenter un excellente note de début d’année en classe préparatoire aux grandes écoles en physique, et une mauvaise note pour un devoir de physique en classe de 4e, mais les élèves et leurs parents le savent-ils tous ?

 

Je ne veux voir qu’une note

Voici quelques exemples d’évaluations professionnelles auxquelles nous sommes peu ou prou tous soumis. Apparemment, ils sont assez représentatifs de ce qui se fait en général.

Le premier concerne la notation des magistrats, qui porte sur 4 domaines :

 - aptitudes professionnelles générales,

 - aptitudes professionnelles juridiques et techniques,

 - aptitudes à l’organisation et à l’animation,

 - engagement professionnel.

Chacun de ces domaines est divisé en différentes capacités et aptitudes plus détaillées : " capacité à décider ", " esprit de synthèse " ou " puissance de travail et efficacité ", par exemple.

La procédure d’évaluation est transparente, le magistrat évalué a connaissance des remarques et commentaires de sa hiérarchie depuis la loi de janvier 1978 relative à l’accès aux documents administratifs.

Comment " note "-t-on l’esprit de synthèse ou la capacité à décider ? pour constituer la note générale, ajoute-t-on les points obtenus dans chaque capacité puis dans chaque domaine (la note finale étant la somme des points de " capacité à décider ", " d’approfondissement des connaissances ", " d’esprit de synthèse ", etc. ) ? Ou est-ce une note globale ? et que mesure-t-elle ? S’agit-il réellement d’une mesure ?

Pour les personnels de la Mairie de Paris, la note chiffrée est communiquée au salarié à la fin d’une procédure d’évaluation, composée de 12 items codés par Excellent, Très Bien, Bien, Satisfaisant, Insuffisant. " Les différentes appréciations portées se traduisent par une note chiffrée de 0 à 20. Le notateur est libre de la fixer. Le directeur ou l’autorité chargée d’arrêter la note veille à l’harmonie des propositions de notes issues des services dont il a la responsabilité " (extrait du Guide de la notation, DRH. Mairie de Paris 1999).

Pourquoi ne pas porter une appréciation globale codée par Excellent, Très bien, etc. ? Le passage de l’évaluation des compétences et des aptitudes à un nombre compris entre 0 et 20 tient compte apparemment... de la note précédente, du désir d’augmentation du supérieur hiérarchique, des rapports entre les supérieurs hiérarchiques et entre leurs services, etc. Les nombres eux-mêmes, note initiale et intervalle des modifications possibles, sont les résultats d’une longue histoire, et ne peuvent en aucun cas être déduits directement de l’évaluation du salarié.

Et cette longue histoire, qui la connaît, qui la maîtrise ? Et pourquoi y mêle-t-on des nombres qui n’ont rien à faire là-dedans ? Apparemment, le langage de la note peut être assez compréhensible, mais pour des initiés seulement, et dans un contexte donné. N’est-il pas vrai que cette compréhension de la note a peu de rapport avec les nombres ? Alors, pourquoi les utilise-t-on ? N’est-ce pas parce que ces nombres servent plus à classer pour discriminer qu’à évaluer pour transformer ? Quant aux rôles de ces notes dans la vie professionnelle ou dans l’image que l’on a de soi-même et des autres, c’est une autre histoire... pour un autre article ?

 

Sujet d’examen

Exercice n°1 : notation des magistrats

1°) Affecter un nombre unique compris entre 0 et 20 (0 et 20 compris), à chacune des " appréciations littérales sur les aptitudes professionnelles, générales, juridiques et techniques " ci-dessous (extraits de " Être juge demain ", Presses universitaires de Lille) .

a- " magistrat honorable, d’une capacité très ordinaire. " (1849)

b- " magistrat indépendant, qui ne suit d’autre impulsion que celle du gouvernement... " (1850)

c- " ne manque pas d’intelligence, ni de capacité, ni d’instruction, mais exclusivement à la chasse " (1876)

d- " ... est une personnalité encore mal affirmée et non exempte de contradictions. Son autorité et sa force de caractère demeurent moyennes... réactions... regrettables... " (1973)

e- " sa tenue, sa présentation et sa vie privée sont irréprochables. " (1976)

f- " un tel pèlerin de l’absolu n’a pas, on s’en doute, que des laudateurs, et les avocats des parties perdantes ont parfois quelque peine à faire le départ entre ce qui leur paraît relever d’une mystique personnelle et ce qui traduit simplement une faim et une soif de justice dignes du plus grand respect. " (1979)

2°) Recommencer l’expérience en choisissant cette fois des nombres entiers entre 0 et 5, puis avec Excellent, Très Bien, Bien, Satisfaisant et insuffisant. Comparer.

 
Exercice n°2 : illustrations

1°) Dessiner une échelle de Richter ("échelle ouverte") ; les barreaux en sont-ils régulièrement espacés ?

2°) Donner une représentation fiable de l’indice de confiance des prévisions météorologiques de Météo-France. Comment interprétez-vous la phrase " l’indice de confiance pour ce jour est de 3 sur 5, 5 étant le niveau de confiance le plus élevé " ?

3°) Même question avec l’EGF (Échelle Globale de Fonctionnement), qui donne un jugement sur le fonctionnement global de l’individu hospitalisé au moyen d’une note unique entre 1 - le plus bas niveau correspondant au fonctionnement le plus dégradé-, et 100 […] (PMSI psychiatrie cf Lettre Grise Péhemécy roi, p 33). Pourquoi n’y a-t-il pas de zéro ?

Les candidats concluront par une note d’auto-évaluation, en donnant toute précision pour "donner sens" à cette note.

NB : Il ne sera distribué aucun corrigé type.

Karin van Effenterre

 
Pénombre, Janvier 2002