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Vrai à 50%

Laissons de côté le montant de la fraude. Attachons-nous à la dernière affirmation "s’il n’y avait pas de fraude, chacun de nous paierait moitié moins d’impôt sur le revenu". Notons tout de même que, si on récupère 50% en plus (multiplication par 3/2) s’il y avait une économie pour tous, elle serait seulement d’un tiers et non de la moitié (division par 3/2).

Quelle que soit la réduction, ceux qui ne paient déjà rien ne paieraient toujours rien : ce qui peut être considéré comme la moitié de zéro. Pour eux (soit à peu près la moitié des contribuables : tiens, oui, 50% aussi !), l’affirmation est vraie.

Pour les autres, ça paraît plus difficile. Au passage, stigmatisons avec une virulente vigueur cette manie de rendre une moyenne concrète (tu parles !) en l’appliquant uniformément à tous les individus de la population : "chacun de nous"… (On lit même parfois cette formulation inepte : "chaque Français paie en moyenne…"). On ne voit pas pourquoi un meilleur rendement des autres impôts (TVA, accises, foncier, taxe professionnelle, etc.) devrait se reporter exclusivement en réduction de l’impôt sur le revenu. De plus, celui-ci étant progressif, savoir si une réduction de sa masse se répartirait de façon uniforme, proportionnelle, progressive ou autrement, est largement indéterminé.

Mais on soupçonne plus ténébreux encore. Au delà d’une confusion entre le total des impôts et le seul impôt sur le revenu, on peut supposer que le locuteur conçoit un jeu de report au sein de celui-ci seulement : parce que certains contribuables (sur le revenu) ne paient pas leur dû, les autres seraient pénalisés. Fiscalement, c’est douteux, car ce n’est pas un "impôt de répartition", c’est-à-dire un impôt dont le total est d’abord fixé, puis réparti entre les contribuables. Et puis, dire que ce qui serait récupéré sur certains pourrait dégrever les autres signifie que seuls les non-fraudeurs verraient leur impôt divisé par deux : ce n’est donc pas "chacun de nous". Sauf, bien sûr si on sous-entend que les fraudeurs, c’est pas nous, c’est les autres ! Si le raisonnement implicite est que le supplément d’impôt récupéré égale le total des diminutions, ça veut dire que en moyenne l’impôt serait inchangé. Par quel miracle, une baisse nulle en moyenne donne-t-elle une réduction de moitié pour chacun ?

Au total, l’affirmation en cause (chacun paierait moitié moins) est vraie pour la moitié des citoyens qui ne paient rien et fausse pour les autres. On peut dire, peut-être, qu’elle est vraie à 50%…

René Padieu

 
Pénombre, Décembre 1998