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Les jongleries du soleil

S’éveiller au bord de la nuit pour surprendre l’aube. Être à l’affût du léger hâle qui teintera, bientôt, la façade voisine, piquée de ses quatre fenêtres aux volets blanchâtres, à moitié ouverts.

Accueillir ces naissantes et timides lueurs qui émanent, graduellement, de l’immuable horizon. Un horizon masqué par les tentures de pierre du paysage urbain.

Domiciliée dans une rue étroite et citadine, chaque matin, de mon lit, j’assiste aux premières jongleries du soleil sur le mur d’en face. Je découvre, sur l’enduit encore blême, un fragment de ce clair-obscur qui accèdera, peu à peu, à la franche clarté.

À cette heure, on n’aperçoit personne. Même pas une ombre derrière les voilages opaques.

Captive du châssis de ma propre fenêtre, j’observe le bref espace du petit immeuble qui s’offre à ma vue. J’examine cette surface limitée et close. Elle se présente comme un écran, sur lequel se dérouleront bientôt les mouvements du soleil et l’animation de l’existence.

Selon le climat et les saisons, ce crépi se couvrira de toutes les variations, de toutes les subtilités de la mise à jour. Approche ténue, vaporeuse, des matins sur le point de naître.

Lentement, la vie reprendra racine…

Andrée Chedid, « Née des ténèbres »

 


Une réflexion qui me vient à propos de votre article « Très précisément pauvres » de janvier 2002, mais que je viens de découvrir aujourd’hui sur le net. Il y a là un très réel problème théorique. Je ne suis pas mathématicien, mais je pense que cette loi existe et doit être connue des spécialistes, selon laquelle la précision arithmétique d’un calcul doit être pondérée en fonction du caractère arbitraire des paramètres de délimitation des données. Si vous aviez les références d’une étude ou d’un manuel de statistique sur ce sujet, je serais heureux de pouvoir en savoir plus.

J’ose espérer que cette loi est prise en compte dans les études sociales dignes de ce nom. Quant aux statistiques administratives et journalistiques, nous savions que leur caractère scientifique était quelque peu douteux, et cela ne nous fait pas changer d’avis.

Au delà de cette constatation, je remarque que philosophiquement, nous (le grand public), qui nous laissons impressionner par des énoncés du style « 26,45 % des familles agricoles [de tel département] sont pauvres » avons du mal à dépasser une religion de l’arithmétique (leibnitzienne ?) et à reconnaître que l’à peu près (« un quart », ou tout simplement « beaucoup ») peut porter plus de vérité que « 26,45 % ».

Incidemment, cela peut aussi nous faire réfléchir sur le fait que les fondements de la comptabilité fiscale, sociale, administrative, étatique, qui, eux, ne connaissent que les « deux chiffres après la virgule », n’ont rien de scientifique, et que, partant, notre « démocratie » n’est peut-être pas un gouvernement (au sens de Rousseau) si naturel que nous continuons à le croire.

Patrick Honnoré, Tokyo

 


La rédaction de Pénombre m’a transmis votre lettre et je suis très impressionné que ma modeste contribution ait un écho jusqu’au Japon. Je partage tout à fait vos vues mais ne pourrai vous donner les précisions que vous demandez. N’étant pas mathématicien moi-même, je ne connais rien de la théorie ni des usages statistiques. Je sais seulement que, lorsqu’on signe un chèque ou qu’on établit un bilan, on inscrit scrupuleusement les centimes ; mais que, auparavant, dans une négociation commerciale, on a bien pu accorder au client un rabais forfaitaire de 10 % tout rond, qui rend sans signification la nécessaire précision comptable.

J’ai posé à un ami statisticien votre question sur un manuel statistique. Il me dit qu’à sa connaissance, les manuels ignorent cette question des conventions et de leur impact sur les résultats. Il ajoute que, si les professeurs en parlaient à leurs élèves, ceci les « barberait » considérablement !

Je vous rejoins donc pour regretter que nos concitoyens soient aussi peu conscients de ce qu’un ordre de grandeur est en général bien suffisant. Plus clair aussi, finalement : quand on vous dit 25 %, vous comprenez « un quart », tandis que si vous voyez écrit 26,45 votre œil et votre esprit doivent faire un effort, même minime, pour éliminer les chiffres inutiles. Et, puisque vous parlez de gouvernement et de démocratie, je me dis que l’apprentissage du sens des chiffres devrait se faire, à l’école, non pas dans le cours de mathématiques mais dans celui d’instruction civique.

Stéphane Noir, cadre commercial retraité

 


Revenant sur l’article qui traitait du centre de la France (A. Dittgen : « Nombrilisme géographique », n° 21, mars 2000), un lecteur nous écrit :

En ce qui concerne la mention ridicule à mon sens du « centre de la France », je m’étonne que vous ne placiez pas le problème dans sa vraie dimension : le territoire français est constitué de portions d’un sphéroïde, la Terre n’étant pas plate... Dans ces conditions, le vrai centre a toutes les chances de se trouver sous l’écorce terrestre et entouré de lave. La France possède en effet de nombreux « confetti » outre-mer (parfois aux antipodes de la métropole !). Ce genre de calculs est sensible aux positions très écartées, même si les superficies en cause sont réduites. Même en s’en tenant à la métropole, le « centre » doit être situé très profondément sous terre, une dizaine de kilomètres selon un rapide calcul approché. 

Didier-Henri Sarrazin
 

NDLR : Le « centre de la France », c’est effectivement un peu ridicule, c’est d’ailleurs ce que laissait entendre l’article. Cela étant, c’est aussi affaire de convention, c’était l’autre « message » de ce texte. Rien n’interdit de chercher le centre d’un pays sur une carte plutôt que sur un sphéroïde. De toutes façons, la commune désignée comme le nombril de la France n’a sûrement pas l’intention ni les moyens de creuser un puits de 10 km pour atteindre le « vrai centre ».

 

Pénombre, Juillet 2002