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80 % des retraités prêts à travailler un jour férié...

J’ACTIVE mon moteur de recherche Internet pour aller à la pêche aux articles sur un sondage discuté dans les médias à partir du 27 août, où 81 % “ des Français ” sont, paraît-il, prêts à travailler un jour férié. Voilà que j’en découvre un autre, du 29 août, où cette fois il s’agit de 70 % “ des Français ” qui pensent ainsi. J’ai trouvé cette information sur le site de Bouygues Télécom, mais on la trouve ailleurs. Le titre est clair : “ Économie : 70 % des Français prêts à travailler un jour férié ”. En chapeau, on nous précise que “ Selon un sondage publié par Le Parisien, la suppression d’un jour férié pour financer la solidarité entre générations est largement approuvée par l’opinion. ”

Et de nous détailler la chose : “ Premier sondage à alimenter le débat sur la suppression d’un jour férié pour financer la solidarité avec le troisième âge et première constatation : l’opinion semble prête à quelque sacrifice. En effet, 70 % des Français seraient prêts à travailler un jour férié pour financer un fonds en faveur des personnes âgées, selon un sondage CSA paru dans Le Parisien. À la question “ seriez-vous prêt à travailler un jour férié pour que vos cotisations sociales de cette journée permettent le financement d’un fonds en faveur des personnes âgées ? ”, 43 % répondent “ oui, certainement ”, 27 % “ oui, probablement ”, totalisant 70 % de réponses positives. […] Chez les salariés, le total de réponses positives est plus bas : 66 % (37 % de “ oui, certainement ”, 29 % de “ oui, probablement ”), contre 34 % de réponses négatives (9 % de “ non, probablement pas ”, 25 % de “ non, certainement pas ”). “

Hormis la petite confusion qui attribue aux salariés les réponses des chefs d’entreprises et indépendants, tout ça est assez exact. En gros. Mais en détail ?

La profession du chef de famille a une importance : employé (65 % de réponses positives), ouvrier (64 %) et chef d’entreprise (66 %) se rejoignent vers le bas, ce dernier voyant les taxes à venir, les deux autres, le travail en plus et “ pour des prunes ” ; en haut, on trouve les cadres et libéraux (75 %), et les inactifs (77 %), catégories qui n’ont guère à craindre d’une telle mesure. Par âge, les inactifs jeunes et vieux (moins de 25 ans et plus de 65 ans) se rejoignent vers les 80 %, mais les actifs, d’autant qu’ils sont actifs depuis longtemps, sont bien moins intéressés (50-64 ans : 65 %). Enfin, dans le classement par préférence partisane, on note que, hormis les partisans d’extrême droite ou de “ droite de la droite ”, la rupture est plutôt entre les “ avec ” et les “ sans ” opinion : pour les premiers, ça se situe à la moyenne ou au-dessus (avec une crête à l’UMP), pour les autres, dix points sous la moyenne. Ce qui donne une autre indication : ça signifie qu’environ la moitié des personnes interrogées déclarent n’avoir pas de préférence partisane. C’est d’ailleurs assez convergent avec les résultats des plus récentes élections.

Malgré les apparences, même à 70 % la mesure n’était pas si populaire. En outre, on aurait dû, en bonne logique, interroger non pas “ les Français ”, mais la seule population concernée : salariés et entrepreneurs en activité. Car demander à un retraité, “ Seriez-vous prêt à travailler un jour férié ? ”, c’est méthodologiquement assez douteux… Je serais le gouvernement, je ne me baserais pas trop sur ce massif “ 70 % ” pour en déduire qu’il y a un large consensus : chez les catégories intéressées par la mesure, c’est beaucoup moins massif… D’ailleurs, un sondage plus récent nous apprend une chose passionnante quant au désir réel de sacrifice des Français : si on leur demande : “ Pour financer la prise en charge par la sécurité sociale du handicap et de la dépendance liés à l’âge, seriez-vous prêts à renoncer à un jour férié ou à une journée de RTT par an ? ”, à 62 % ils répondent oui ; mais dès qu’on quitte le vague “ un jour ” pour un plus précis : “ Le gouvernement envisage de supprimer le lundi de Pentecôte comme jour férié, pour aider à financer l’aide aux personnes âgées. Vous personnellement, y êtes-vous très favorable, plutôt favorable, plutôt défavorable ou très défavorable ? ”, le croiriez-vous ? On passe à 49 % de “ favorable ”, dont seulement 13 % de “ très favorable ”.

Conclusion, je commence à discerner pourquoi nos politiques anticipent si mal les mouvements sociaux et les retournements de l’opinion : s’ils s’arrêtent aux chiffres bruts sans aller au détail, ils œuvrent eux-mêmes à leur déconvenue : on comprend que 80 % des retraités soient partisans de la solidarité avec les retraités, mais si la mesure est appliquée, ce ne sont pas les retraités qu’on verra défiler dans la rue ; et ce n’est pas non plus chez eux qu’on trouvera le plus d’électeurs “ flottants ”.

Olivier Hammam

 
Pénombre, Mars 2004