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Fidèle malgré tout (le mal dit du PIB)

On dit beaucoup de mal du PIB, le produit intérieur brut, depuis un certain temps (cf. Lettre blanche n°52). Je voudrais en dire du bien ou plutôt le défendre, car le pauvre n’est pour rien dans sa mauvaise réputation. Cela étant, malgré cette remise en cause, il continue à être utilisé journellement, non seulement pour mesurer la richesse des pays, mais aussi leurs déficits, ce qui est tout à fait contestable, mais ne dérange personne… sauf moi.

On dit que le PIB mesure mal les richesses. Les enseignants qui le présentaient, et qui avaient un peu de recul, avaient coutume de dire que le statisticien qui épouse sa cuisinière faisait baisser le PIB, pour expliquer que cet indice ne prend pas en compte les services non payants, lesquels sont tout aussi utiles que les autres. On lui reproche aussi, ou surtout, de ne pas mesurer le bonheur ou plutôt le bien-être. Effectivement, il en est bien incapable. Mais il y a d’autres indices pour cela, par exemple : l’Indice du développement humain, qui combine revenus, santé et éducation et qui est utilisé assez systématiquement depuis un certain nombre d’années et toutes sortes d’autres, comme ceux utilisés par l’Insee dans son dernier Portrait social. En fait, le PIB ne fait que mesurer les biens et services produits, que ceux-ci soient indispensables, ne servent à rien ou, pire, nous fassent du mal. Ne pourrait-on alors se contenter de ne mesurer que ce qui fait du bien ? On pourrait par exemple sortir les cigarettes de son calcul, comme on le fait pour certains indices des prix, puisque ce produit est nocif. Généralement, car j’ai un ami qui en fume une seule par semaine, ce qui n’affectera sûrement pas sa santé. Idem pour l’alcool, nocif seulement en cas d’excès. Et on a malheureusement besoin de temps à autre de ces horreurs que sont les armes…

De toutes les façons il ne faut pas essayer de rendre cet indice vertueux. La question n’est pas là. Le PIB rend compte de la production et donc aussi des revenus. Quelle est la préoccupation première de nos contemporains, avant la sécurité ? C’est l’emploi avec la peur du chômage. Or, de quoi dépend l’emploi ? De la production, c’est-à-dire, du PIB. Et comment résorber le chômage ? Par la croissance du PIB. Les « décroissants », qui feraient mieux de s’appeler « alter-croissants »1, ont raison de mettre en cause la production de tout et de n’importe quoi. Mais, malheureusement, cette production de biens utiles, inutiles et nocifs permet de vivre, car elle donne des salaires… et des dividendes. Ce n’est pas le PIB, qui n’est qu’un thermomètre, qu’il faut mettre en cause, mais cette économie.

Là où la référence à ce PIB pose problème à mon avis c’est pour mesurer la dette et le déficit publics. Tenons-nous à ce dernier. Tout le monde a entendu dire qu’en créant la monnaie unique chaque pays de l’Euroland s’était engagé à ce qu’il ne dépasse pas 3 % du PIB. C’est quoi ce rapport ? C’est, rapporté au PIB, la somme des déficits du budget de l’État, des collectivités territoriales et de la Sécurité sociale. Grosso modo, en France, ces institutions dépensent 50 % du PIB. Un déficit de 3 % signifie qu’elles n’encaissent que 47 % de ce même PIB.

Est-ce une manière courante et logique de mesurer un déficit ? Supposons que mon salaire annuel soit de 20 000 euros et que j’en dépense 25 000, ce qui m’oblige à en emprunter 5 000 : je dirais que mon déficit est 20 %, si je le rapporte à ma dépense, ou de 25 %, si je le rapporte à mon revenu. Il ne me viendrait pas à l’idée, vu que mon revenu est une partie du chiffre d’affaires de la boîte qui me paye, son PIB en quelque sorte, de le rapporter à celui-ci.

Si on rapporte un déficit de 3 %, par rapport au PIB, non plus à ce dernier mais à la dépense (soit 50 % du PIB), cela devient 6 %. En 2009, et il en sera de même à peu de chose près en 2010, le déficit a été de 8 %, ce qui fait 16 %. Comme les collectivités locales sont soumises à l’équilibre budgétaire, cela signifie que ce déficit public provient surtout de celui de l’État. Effectivement pour ces mêmes années il est de l’ordre de 35 % des dépenses de l’État !

Même si l’on revenait aux critères de Maastricht, il ne faudrait pas se laisser tromper par ce ridicule 3 %. Puisque, en 2008, dernière année où l’on n’était pas trop loin de cette valeur, cela correspondait quand même à un déficit du budget de l’État de 15 % !

Jean Célestin

 
1. À l’image des « alter-mondialistes », qui ont fini par comprendre – il leur a fallu du temps - qu’il était paradoxal d’être « anti-mondialistes » quand ils rassemblaient des gens du monde entier pour défendre leur cause.

 
Pénombre, Janvier 2011