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Trop vite dit ?

Dans la Lettre blanche n°11 (p.10-11), Aurore Nördlich avait donné quelques exemples de ce que l’Événement du jeudi présentait, dans sa livraison du 15-21 août, comme des « idées fausses ». Notre amie proposait aux lecteurs de Pénombre de commenter les arguments chiffrés de l’hebdo. Ainsi, prétendant nier l’importance de la vitesse dans les accidents de la route, l’EDJ écrivait : « En 1995, les petites routes, leurs croisements inopinés et leurs défauts de signalisation ont tué 2026 personnes, les autoroutes se contentant de 293,18,4% des accidents étant provoqués par des camions et 81,4% par des voitures. Le tout pour 51 milliards de km2 (sic) parcourus, tous trajets confondus ». Alfred Dittgen commente ces données.
 

D’après l’EDJ la vitesse ne serait pas cause des morts accidentelles de la route, puisque, "en 1995 les petites routes… ont tué 2206 personnes et les autoroutes… 293". Formellement, la comparaison des deux chiffres ne prouve rien, puisque tout dépend des distances parcourues dans chaque réseau. On peut néanmoins penser que, comme le réseau autoroutier est maintenant bien développé et que la différence de tués est considérable, elle traduit effectivement une différence de risque au détriment de la route. Mais cette comparaison ne peut être fournie sérieusement que par le nombre de tués par kilomètre parcouru dans chaque réseau.

Si on lit bien cette "brève", à partir de là, le raisonnement serait le suivant : comme le risque d’être tué sur autoroute est moindre que sur route et comme on roule plus vite sur la première que sur la seconde, la vitesse n’est pas cause d’accident. Si l’on pousse ce raisonnement, on aboutit à une proposition qui devrait plaire à plus d’un "speedé" : "Plus on roule vite, moins on risque d’être tué" !

Pour sortir de ces sophismes, il faut se poser la question de la relation entre la vitesse et le risque de décès, plus précisément entre la vitesse, l’accident et le décès. Précisons d’abord que la vitesse ne tue pas, ce qui tue ou risque de tuer, c’est l’accident. D’où la question : la vitesse peut-elle être facteur d’accident ? intervient-elle dans la gravité de celui-ci ?

Ce n’est pas la vitesse en tant que telle qui cause l’accident, mais une allure inappropriée. Il peut être dangereux de rouler à 90 kms à l’heure sur une route de montagne, mais il peut également être dangereux de rouler à cette même vitesse sur une autoroute verglacée et dans le brouillard.

La vitesse aggrave toujours l’accident : sur autoroute un choc à 200 kms à l’heure aura plus de conséquences qu’un autre à 100. Cette aggravation est bien montrée par la carte départementale de la mortalité routière, où l’on voit que celle-ci est beaucoup plus importante dans les départements ruraux, où l’on peut appuyer sur le champignon, que dans les urbains, où l’accident se résume davantage à des froissements de tôle et… à des engueulades.

Cela étant, à vitesse égale, le risque d’accident est considérablement plus faible sur une voie étudiée pour la circulation des automobiles que sur une voie construite à l’époque du cheval et des voitures attelées, donc sur l’autoroute que sur la petite route. Le problème est que l’on ne roule pas à vitesse égale sur les deux réseaux, mais plus vite sur le premier. Pourquoi alors celui-ci reste-t-il plus sûr que le second ? Parce que, comme le montrent les statistiques, d’accidents et de tués, l’augmentation du risque entraînée par la vitesse accrue est plus que compensée par la diminution du risque due aux caractéristiques de ce réseau.

Pour réduire son risque personnel d’être victime d’un accident de la circulation, il vaut mieux prendre l’autoroute que la route, mais surtout… il y a lieu d’être prudent, quelle que soit la voie empruntée.

Alfred Dittgen
Université Paris I

 
Pénombre, mars 1997