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Une croyance au créationnisme... en évolution

Dans un éditorial de février 2005, le New York Times, citant sans la nommer une thèse de 1998, annonçait que 24 % des enseignants de biologie du secondaire de Louisiane pensaient que le créationnisme possédait une base scientifique et que 17 % hésitaient sur l’existence d’une telle base. Donc, 41 % des enseignants de biologie de Louisiane rejetaient ou avaient de sérieux doutes sur la théorie de l’évolution.

Abasourdie, Judith Singer, professeur de pédagogie à Harvard, se met en quête de l’origine de ces chiffres. Ce qu’elle découvre après quelques recherches dans Google est très intéressant. Elle identifie l’auteur de la thèse, un certain Don Aguillard. Elle découvre que c’était lui qui était opposé à l’État de Louisiane dans le procès où la Cour Suprême des États-Unis avait en 1987 annulé la loi de cet État imposant un partage du temps d’enseignement entre la théorie de l’évolution et le créationnisme. De fait, l’arrêt de la Cour Suprême s’intitule « Edwards (gouverneur de la Louisiane) vs Aguillard ».

J. Singer examine alors en détail l’enquête menée par Aguillard, lequel s’était adressé à tous les professeurs du secondaire ayant enseigné la biologie au cours de l’année scolaire 1997-1998. Elle reprend sa méthodologie et rectifie à 50 % le taux de réponse à l’enquête, annoncé dans la thèse à 64 %. Elle retrouve la fameuse question à 41 % sur le caractère scientifique du créationnisme, mais trouve une question quasi symétrique. Dans celle-ci, 84 % des répondants approuvent le fait que la théorie de l’évolution ait une base scientifique valide !

Surtout, elle découvre que le questionnaire est signé par son auteur et que le nom de celui-ci est connu des enquêtés et associé au jugement de la Cour Suprême. Elle constate de plus que dans l’argumentaire leur présentant son enquête, Aguillard laisse paraître son opinion. Du fait de l’absence évidente de neutralité de l’enquêteur et du biais de non réponse lié à cette partialité, l’ensemble de l’enquête lui paraît donc sujette à caution.

Poursuivant ses recherches sur internet, elle constate que le chiffre de 41 % est abondamment repris sur les blogs et les sites web. D’autant plus facilement que, finalement, il convient à tout le monde. Chacun, quel que soit son bord, peut le brandir pour en déduire qu’il est urgent de continuer le combat. Bien évidemment, partout où il est repris, le chiffre est cité tel quel, hors contexte et sans mention de l’identité de la source.

Conclusion de J. Singer : attention aux chiffres utilisés, même lorsque c’est pour le bon combat !

François Sermier
(d’après l’article de Judith D. Singer, dans Chance, vol. 18, n°4, automne 2005)


Pénombre, Mars 2006