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Editorial : Ça va bruire

Vous passez votre vie dans une lumière monotone et vous ne savez même plus regarder les ténèbres.
Pierre Louÿs

DEJA, POUR L’OREILLE ATTENTIVE et un brin exercée, ça bruit, en ce début de printemps. Lorsqu’un nouveau « locataire » arrive rue de Bercy, son premier discours à l’Assemblée nationale est sans doute soigneusement pesé, pas de fioritures, que de l’essentiel. Et de quoi a-t-il été question cette fois-ci, lors du changement de bail ? D’expliciter mieux la politique conduite et donc de mettre en place, dans les semaines à venir, une « batterie d’indicateurs simples, accessibles à tous ». L’homme entrant est chef d’entreprise et sait donc l’importance de la quantification. Mais, il n’est pas le premier à vouloir ainsi mesurer l’activité publique. Ça bruit...

Le Président de la Commission des finances du Sénat le sait bien, lui, que l’exercice est difficile. Il a pourtant à sa disposition plus de 1 300 indicateurs destinés à l’évaluer, cette activité publique. Il s’est un peu inquiété de l’adéquation de ces indicateurs, dans un rapport rendu public le 2 mars, et la presse, hilare, a pu reprendre certaines bizarreries soulignées par notre vaillant Sénateur, d’ailleurs lui aussi ancien habitant de Bercy. Un rapport de commission parlementaire qui a les honneurs de la presse nationale ! Faut-il que ça bruisse...

Si les questions autour de cette mesure de l’activité publique commencent à quitter le bois des experts en statistiques pour arriver dans le champ de la discussion publique, c’est que, finalement, nous n’avons plus le choix. Nous, les tatillons pénombriens et autres admirateurs du chiffre, mais plus généralement, nous, les habitants de France. Le prochain budget du pays sera construit autour de cette mesure. Le législateur a en effet décidé en 2001 « de remplacer une culture de moyens (“un bon budget est un budget qui augmente”) par une culture de résultats (“un bon budget est celui qui permet, au moindre coût, d’atteindre les objectifs préalablement définis”) » (rapport d’information 220 du 2 mars 2005). Cette révolution budgétaire, c’est la « Lolf ». Ça devrait bruire.

Lolf ? Loi Organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Par extension, la Lolf va être l’architecture qui définira les objectifs du budget, donc ceux de l’action publique, donc la mesure de l’État. Toute une série d’indicateurs de mesure, avec tout ce que cela suppose de questions (ou d’absence de questions) : qu’est-ce qu’une quantification, quel sens donner à telle variation… ? Première mise en place explicite lors des prochaines discussions budgétaires. Ça va bruire, c’est sûr.

Or, c’est justement au cœur même de la pénombre que les bruissements deviennent des bruits. Attendez-vous à ce qu’elle fasse de plus en plus de bruit, à la rentrée prochaine, la Lolf.