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Poids et mesures

Les Echos du 30 juin 1999 titre : "Le poids de l’industrie dans le PIB réduit de moitié en 98". Fichtre ! Cela peut signifier que, le PIB étant resté à peu près le même, la moitié de l’industrie a été détruite : vous voyez le désastre. Ou alors, que, l’industrie étant inchangée, le PIB (c’est-à-dire la production nationale tout entière) a doublé : ça se saurait. C’est peut-être, un peu des deux : alors que l’économie, en général se développait considérablement, pour l’industrie, c’est une régression sans précédent.

En fait, vous l’avez compris, le titreur des Echos, lui, ne comprend rien. Il confond une chose avec sa variation. Il ne s’agit pas du poids de l’industrie dans le PIB, mais du poids de la croissance de l’industrie dans la croissance de l’ensemble du PIB. Ouf ! On l’a échappé belle.

N’empêche. Si une année les prix augmentent de 1% et que votre revenu augmente de 2%, si l’on vient vous dire que votre pouvoir d’achat a doublé, vous serez surpris. Et vous prendrez celui qui l’affirme pour un fieffé menteur ou pour un hurluberlu.

Mais, on sait ce que valent les titres de journaux. Même de journaux sérieux, comme on croit l’être Les Echos. Donc, lisons plutôt l’article. Las ! c’est à peine mieux. Nous nous sommes reportés à la source de l’article (INSEE-Première n° 661, juin 1999). Il y a quelques informations en plus, mais ce qui est rapporté par le journal est conforme. Raisonnons donc seulement sur les éléments figurant dans l’article et livrons-nous à un petit exercice d’arithmétique critique à la portée de tout citoyen ayant acquis la maîtrise de la règle de trois. Lecteur : si l’exercice qui va suivre te rebute, saute à la fin de cet article.

 
Passons

L’argument repose sur le constat que la croissance de l’industrie a pesé pour un cinquième, en 1998, dans la croissance du PIB, tandis qu’elle en avait représenté deux cinquièmes l’année précédente. (C’est ce passage de 2/5 à 1/5 qui est censé motiver le titre). Nous lisons que l’industrie a crû de 4,5% et que ceci représente 0,7% dans un accroissement du PIB égal à 3,2%. En effet, 0,7 est à peu près le cinquième de 3,2. Si 4,5% de l’industrie fait le cinquième de l’accroissement total, c’est que l’industrie pèse dans le total (dans le PIB) pour 0,7/4,5 = 0,15, soit 15%. (La publication de l’INSEE confirme que tel est bien le poids de l’industrie dans le PIB.)

Au passage, nous calculons par différence la croissance de la partie non-industrielle de l’économie (qui représente donc 85% de l’ensemble) : si un total de 100 F augmente de 3,20 F lorsqu’une partie qui fait 15 F augmente de 4,5% c’est-à-dire de 0,70 F, l’autre partie augmente de 3,2 - 0,7 = 2,50 F. Et 2,5 rapporté à 85 fait 2,9%.

Première constatation, toujours au passage : là où le reste de l’économie croissait de seulement 2,9%, l’industrie faisait 4,5% ce qui n’est pas du tout la débâcle annoncée.

Poursuivons nos petits calculs. L’année précédente, l’article nous indique que l’industrie avait crû de 5,2% (ce qui était en effet un peu mieux que les 4,5 qui ont suivi) et que ceci représentait les 2/5 de la croissance du PIB. Comme les variations restent malgré tout modérées et de même ordre, le poids de l’industrie dans l’ensemble devait déjà être de 15%. Or, 15% de 5, 2 fait 0,8 ; et ce 0,8 était les 2/5 de la croissance du PIB : celle-ci devait donc être égale aux 5/2 de 0,8 soit à peu près 2%. D’où nous pouvons déduire, comme précédemment, la croissance de la partie non-industrielle : (2 - 0,8)/85 = 1,4%.

Si vous voulez, remettons en ordre ces résultats dans le petit tableau ci-dessous.

De tels chiffres, que peut-on dire ? Que l’industrie augmente, certes, un peu moins qu’avant, mais qu’elle augmente encore plus que le reste de l’économie. Que si sa part est moindre dans l’augmentation d’ensemble, c’est surtout parce que le reste a crû plus vite.

Or, le "chapeau" de l’article des Echos en cause déclare tout de go "l’industrie a perdu son rôle de moteur de la croissance." Qu’est-ce à dire ? Quand on représente les 2/5 de l’accroissement, on est moteur ; quand on n’en représente que 1/5, on ne l’est plus : où est la limite pour être le moteur ? Quand on croît de 5,2, on est moteur ; quand on ne croît que de 4,5 on ne l’est plus ; même question : où est la limite ?

Allons plus loin : supposons que le reste de l’économie n’augmente pas du tout (tandis que l’industrie augmenterait toujours de 4,5%). La croissance serait de 0,7% imputable en totalité à l’industrie. Que voilà pas un super moteur ! Un moteur qui avance en laissant le châssis et la carrosserie sur place… Mieux : si le reste reculait de 0,5% ; l’ensemble ne progresserait plus que de 0,7 - 0,85 x 0,5 = 0,28%, dont l’industrie représenterait alors 250%. Moteur, vous avez dit moteur ? Il me semble qu’un précédent article de Pénombre dénonçait déjà le non-sens de ce rôle de moteur attribué sur une comparaison de pourcentages.

Au total, un titre absurde, un chapeau inepte, pour interpréter sans jugement des chiffres sans doute corrects. L’article contenait tout ce qu’il fallait pour démontrer sa propre inanité. Mais sans doute peu de lecteurs auront le réflexe de se livrer au petit calcul critique qu’on vient de faire. Dans ces conditions, on peut se demander comment fonctionne la chaîne qui va du statisticien de l’INSEE au titreur des Echos¸ en passant par le journaliste. Fin de l’article.

 

 

   

accroissement en 1997

accroissement en 1998

poids

en %

en part du total

en %

en part du total

industrie

15

5,2

0,8

4,5

0,7

reste de l’économie

85

1,4

1,2

2,9

2,5

ensemble (PIB)

100

2,0

2,0

3,2

3,2

 

Mélanie Leclair

 
Pénombre, Octobre 1999