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Éditorial (Lettre blanche n°47 - décembre 2007)

On peut se fatiguer de regarder, même quand on ne voit rien.
Ludwig Wittgenstein, Remarques mêlées, 1948

L’ACTIVITE vespérale et nocturne de Pénombre ne connaît pas de répit : à se demander si nous ne sommes pas une association de noctambules ! Après l’obésité et les chiffres de l’économie, un petit groupe s’est attelé à un sujet très dans l’air du temps puisqu’il en est question presque tous les jours : les sondages.

Pour beaucoup de nos concitoyens, sinon pour la majorité, ce terme est devenu synonyme d’enquête d’opinion : ce n’est pas que ça. Un sondage, par définition, c’est l’observation d’une partie en lieu et place de la totalité, pour en tirer des conclusions concernant cette totalité. Dans les enquêtes par sondage qui occupent les statisticiens, cette totalité c’est une population - d’humains, d’animaux, de voitures, d’entreprises… - et la partie, un échantillon de membres. Mais il n’y a pas que le statisticien qui s’occupe de sondage : le géologue prélève par forage une carotte pour en tirer des conclusions sur le sous-sol, le médecin, grâce à une biopsie, fait un diagnostic sur un organe, le restaurateur d’œuvres d’art, par un prélèvement de quelques fragments de tissus, détermine la composition de la totalité d’une tapisserie… Dans plusieurs de ces cas, le recueil d’une partie seulement est indispensable pour ne pas détruire l’objet à étudier. Heureusement, dans le cas des sondages auprès des populations, l’observateur n’anéantit pas la personne observée : déjà que beaucoup de gens sont réticents à répondre quand ils sont sollicités ! La raison de cette façon de faire est purement économique : obtenir des résultats au moindre coût.

D’où de nombreuses questions concernant les échantillons. Dans quelle mesure ces parties observées, interrogées, interviewées, enquêtées, mesurées, auscultées, palpées, regardées, sondées, investiguées, analysées,… donnent-elles des images fidèles des ensembles dont elles sont tirées ? Ou, ce qui revient au même, comment constituer des échantillons pour qu’il en soit ainsi ? C’est à ces questions que quelques-uns de nos membres nous donnent leur lumière dans ce numéro. Mais il n’y a pas que les problèmes d’échantillon, il y a aussi l’observation ou, si l’on veut, la mesure de ce que l’on cherche à connaître. Pour nous en tenir aux enquêtes auprès des humains, la recherche porte sur de très nombreuses choses et pas seulement sur les intentions de vote et sur la cote des personnes politiques. On mesure, au sens propre, les caractéristiques physiques, que ce soit pour voir les « progrès » de l’obésité ou pour adapter les tailles des vêtements aux conformations contemporaines, la santé, les revenus, l’activité et le chômage… Beaucoup de ces mesures, comme celles des corpulences, si elles sont faites avec soin peuvent être qualifiées d’objectives. D’autres sont moins évidentes, comme celles de la santé ou du chômage, mais si on se met d’accord sur un certain nombre de conventions, elles peuvent échapper également aux critiques.

En revanche, en ce qui concerne les sondages d’opinion, ceux auxquels tout le monde pense spontanément, les choses sont plus complexes. La qualité de l’observation dépend du questionnaire, de l’agencement des questions et de la façon dont celles-ci sont rédigées, et, évidemment, de leur contenu. À ce propos, quand on voit que certaines enquêtes portent sur des questions très compliquées concernant par exemple les institutions de la France ou les traités européens, on peut se demander si tous les sondés ont vraiment compris de quoi il retournait ! Ou, s’interroger sur le moment où l’enquête est effectuée : une question d’opinion sur les transports publics ne recueillera pas les mêmes réponses en temps « d’arrêt de travail d’une certaine catégorie du personnel » qu’en temps normal.
Bref, le sujet est vaste. Nous attendons vos remarques, vos opinions, vos questions qui nous seront très utiles pour la préparation de la soirée en question : les sondages sont choses trop sérieuses pour être laissées aux sondeurs. Moins vous êtes spécialiste, plus vous êtes désiré dans le groupe de préparation, qui se réunit à peu près toutes les trois semaines…

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